En Suisse romande, la plupart des médecins font encore usage de la version 10 de la CIM, en particulier pour la psychiatrie (CIM-F). Dans le texte qui suit, nous allons présenter de façon résumée (donc nécessairement interprétée à ma sauce :)) les diagnostics des troubles du spectre traumatique selon trois versions, celle de la CIM-10 (éditée en 1992), celle de la CIM-11 (éditée en 2018) et celle du DSM-5 (éditée en 2013). Le trouble (ou état) de stress post-traumatique entre pour la première fois dans la classification du DSM en 1980, dans sa troisième édition (DSM-III). Pour la CIM, il faudra attendre la 10ème édition de 1992 (CIM-10). L’intégration de ce diagnostic au DSM est due au puissant lobby des associations de vétérans du Vietnam.
Il est intéressant d’observer et de comparer l’évolution des critères diagnostiques entre les éditions successives tant du DSM que de la CIM. Dans la CIM on observe un changement de vocabulaire pour désigner la maladie. On parle d’un « état » de stress post-traumatique dans la CIM-10 et d’un « trouble » dans la CIM-11 qui rejoint ainsi le vocabulaire utilisé dans le DSM. Dans la CIM-10, l’Etat de stress post-traumatique appartient au chapitre des troubles anxieux, intitulé Troubles névrotiques, troubles liés à des facteurs de stress, et troubles somatoformes. Dans la CIM-11, le Trouble du spectre post-traumatique sort du chapitre des troubles anxieux pour migrer vers celui des Troubles spécifiquement liés au stress. On a du mal à identifier les raisons de ces changements qui ne semblent pas relever d’un meilleur positionnement théorique. En effet, la critique que nous avons émise précédemment (Les troubles du spectre traumatique, Episode N°2) reste de mise pour les dernières versions tant du DSM que de la CIM.
Dans la CIM-10, l’Etat de stress post-traumatique (F43.1) appartient au chapitre 4 du manuel, spécifiquement dans le sous-chapitre 43 : Réactions à un facteur de stress important, et troubles de l’adaptation. Dans ce sous-chapitre, le premier item est la Réaction aiguë à un facteur de stress (F43.0). Ensuite vient le second item de l’Etat de stress post-traumatique (F43.1). Dans ce sous-chapitre 43 est affirmé l’exigence d’avoir identifié un facteur de stress (stressfull life event). Cette exigence reste de mise dans la CIM-11 et l’a toujours été dans le DSM depuis l’édition de 1980. Cela nous pose un important problème théorique car cela exclut du diagnostic le TSPT transgénérationnel par voie épigénétique[1].
Avant de résumer les critères diagnostiques de l’Etat de stress post-traumatique (F43.1), je veux mentionner le diagnostic de Réaction aiguë à un facteur de stress (F43.0) qui de mon point de vue n’est pas une maladie et ne devrait donc pas être mentionné dans un manuel de diagnostic des maladies. La caractéristique centrale du F43.0 sert à pointer une « symptomatologie » apparaissant rapidement après le « stressfull life event » et qui peut disparaître rapidement, en général en moins de 3 jours selon la CIM-10. On peut avoir une réaction d’hébétude et de désorientation que je rapporte au freezing, ou une agitation et hyperactivité qu’on peut rapporter au fight or flight et aux signes neurovégétatifs associés. Comme expliqué dans notre série Du Vague à l’âme (en particulier les épisodes N°10 et N°11), les réactions décrites sous ce diagnostic F43.0 sont parfaitement normales et adaptées à la réaction allostatique de gestion d’un événement à potentiel traumatique. Je me demande si ce diagnostic F43.0 ne sert tout simplement pas à justifier l’approche du « débriefing », cette activité inappropriée (selon trois métanalyses Cochrane) de dépêcher des équipes d’écoute psychologique sur les lieux de catastrophes ou d’attentats qui servent surtout à suggérer par psycho-médicalisation l’occurrence nécessaire d’un stress post-traumatique. Evénement à potentiel traumatique ne signifie pas l’occurrence automatique d’un trauma. Nous reviendrons ultérieurement sur cette question importante.
En présentant les critères en lien avec le diagnostic de l’Etat de stress post-traumatique (F43.1), nous observons que ceux-ci ne font pas l’objet d’un scoring, contrairement à ce qu’on observe dans la CIM-11 et le DSM-5. Ces critères sont :
1. Il faut un épisode traumatique (ET) identifiable.
2. Il faut que le début de la maladie soit différé par rapport à l’ET (de quelques semaines à quelques mois mais sans atteindre 6 mois car le diagnostic perd de sa probabilité si le caractère différé est supérieur à 6 mois).
3. Reviviscence répétée de l’ET.
4. Flashback.
5. Cauchemar.
6. Emoussement émotionnel (éléments dépressifs et/ou anxieux).
7. Evitement.
8. Hyperactivité neurovégétative.
9. La guérison spontanée est la règle mais avec des exceptions, en particulier l’évolution vers une Modification durable de la personnalité après une expérience de catastrophe (F62.0).
La conception que la CIM-10 a du TSPT est donc – selon le point n°9 – une maladie de durée limitée le plus souvent. L’objectif thérapeutique qui peut en découler – s’il y en a un – est donc logiquement de réduire la durée de la période symptomatique (Cf. Les Troubles du spectre traumatique, Episode N°1).
La CIM-11, identifie non plus un « état » mais deux types de « trouble » : le Trouble du stress post-traumatique (6B40) et le Trouble du stress post-traumatique complexe (6B41). Ces diagnostics appartiennent au chapitre 6 du manuel : Troubles mentaux, comportementaux et neurodéveloppementaux. Spécifiquement dans le sous-chapitre B4 : Troubles spécifiquement liés au stress. Avec 0 pour TSPT et 1 pour TSPT complexe. Dans ce sous-chapitre, on ne retrouve plus d’item apparenté à la Réaction aiguë à un facteur de stress de la CIM-10.
En présentant les critères en lien avec le diagnostic de Trouble du stress post-traumatique (6B40), nous observons cette fois que ceux-ci font l’objet d’un scoring, contrairement à ce qu’on observe dans la CIM-10. Ces critères sont :
1. Il faut un épisode ou une série d’épisodes traumatiques (ET) identifiables.
2. Il faut au moins 1 symptôme du cluster 1 (répétition) :
2.1. Souvenirs intrusifs de l’événement traumatique.
2.2. Flashbacks dissociatifs.
2.3. Cauchemar associé à émotion de peur.
3. Il faut au moins 1 symptôme du cluster 2 (évitement) :
3.1. Evitement des situations susceptibles de raviver la mémoire de l’ET
3.2. Evitement de pensées et ressentis susceptibles de raviver la mémoire de l’ET
4. Il faut au moins 1 symptôme du cluster 3 (hyperactivité neurovégétative) :
4.1. Hypervigilance et réponse de surprise exagérée (sursaut).
5. Il faut que les symptômes persistent au minimum plusieurs semaines et entraînent des difficultés d’ordre personnel, familial, professionnel, …
Les critères pour le diagnostic de Trouble du stress post-traumatique complexe (6B41) sont ceux du Trouble du stress post-traumatique (6B40) aggravés des critères additionnels suivants :
6. L’épisode traumatique (ET) doit être particulièrement grave (torture, viol, …)
7. Une dérégulation des affects.
8. Un sentiment d’infériorité, de honte et de culpabilité (negative self-concepts)
9. Des difficultés dans les relations sociales et intimes.
Dans la CIM-11, on a retiré les éléments diagnostiques liés à la dépression et l’anxiété pour en quelque sorte « purifier » le diagnostic de PTSD, c’est-à-dire le rendre plus spécifique (cf. Le cerveau bayésien, Episode N°5). Précisément, à l’exception de la forme complexe, nous ne retrouvons plus le critère 6 de la CIM-10 : Emoussement émotionnel (éléments dépressifs et/ou anxieux).
Nous verrons en comparaison avec les critères exigés pour le diagnostic dans le DSM-5, que l’exigence critérielle de la CIM-11 est plus simple, plus aisée à réaliser dans le cadre de soins de santé primaire avec la volonté d’identifier rapidement les cas susceptibles de devoir bénéficier de soins plus spécialisés. On y reconnaît donc d’amblée la « patte » santé publique de l’OMS.
Pour ne pas trop alourdir le texte, nous nous contenterons de présenter les critères retenus dans le DSM-5. A l’instar de ce que nous avons mentionné comme changement entre CIM-11 versus CIM-10, le Trouble stress post-traumatique (309.81) du DSM-5 n’est plus rangé non plus dans les troubles anxieux ou apparentés comme c’était le cas dans le DSM-IV. Ici aussi, le critère nécessaire d’un épisode traumatique (ET) est affirmé (Critère A), ce que je déplore comme déjà mentionné plus haut.
Si la CIM-11 et le DSM-IV réfèrent à 3 clusters de symptômes ajoutés au critère de l’occurrence d’un ET, le DSM-5 réfère à 4 clusters en plus de celui de l’ET. Contrairement à la CIM-11, le DSM-5 exige que le diagnostic ne soit posé que si la symptomatologie persiste au moins un mois après l’ET. La CIM-10 demandait un critère similaire mais moins précis (quelques semaines). Comme dans la CIM-10 mais non pas dans la CIM-11, le DSM-5 propose un diagnostic de Trouble stress aigu (308.3) assez superposable à celui de Réaction aiguë à un facteur de stress (F43.0) de la CIM-10. Nous en pensons la même chose. Vu qu’aux USA les assurances santé exigent un diagnostic DSM clair pour tout remboursement d’acte de soins et donc pour justifier un remboursement de consultation médicale ou psychologique dans les premiers jours qui suivent un ET (lorsque le diagnostic de PTSD ne peut encore être posé), pour valider la médicalisation d’une réaction pourtant normale, non pathologique[2].
Dans le DSM-5, le Trouble stress post-traumatique (309.81) appartient au chapitre non numéroté et différencié des troubles anxieux : Troubles liés à des traumatismes ou à des facteurs de stress. Les critères sont :
1. Critère A : exposition à un événement traumatique (ET) grave (Comme victime ou témoin).
2. Critères B : Intrusion > 1 mois (au moins 1 critère)
2.1. Souvenirs intrusifs de l’ET entraînant de la détresse (B1)
2.2. Cauchemars récurrents en lien direct ou indirect avec l’ET (B2)
2.3. Réaction dissociative comme si l’ET se produisait : flashbacks (B3)
2.4. Sentiment intense de détresse en présence d’indices évocateurs de l’ET (B4)
2.5. Réaction physiologique marquée en présence d’indices évocateurs de l’ET (B5)
3. Critères C : Evitement > 1 mois (au moins 1 critère)
3.1. Efforts d’évitement des pensées liées à l’ET (C1)
3.2. Efforts d’évitement des rappels de l’ET (endroits, personnes, activités, …) (C2)
4. Critères D : Altérations des cognitions et de l’humeur en lien avec l’ET > 1 mois (au moins 2 critères)
4.1. Incapacité de se rappeler un aspect-clé de l’ET (amnésie dissociative) (D1)
4.2. Croyances négatives (sur soi et/ ou sur le monde) (D2)
4.3. Distorsions cognitives concernant cause et ou conséquence de l’ET (blâme sur soi et/ ou les autres) (D3)
4.4. Emotions négatives persistantes (tristesse, culpabilité, colère, honte) (D4)
4.5. Perte d’intérêt pour les activités importantes (D5)
4.6. Détachement par rapport aux autres ou sentiment de devenir étranger aux autres (D6)
4.7. Incapacité d’éprouver des émotions positives (engourdissement, y compris perte de libido) (D7)
5. Critères E : Altération de l’éveil et de la réactivité > 1 mois (au moins 2 critères)
5.1. Irritabilité et agressivité (E1)
5.2. Témérité et comportements autodestructeurs (E2)
5.3. Hypervigilance (E3)
5.4. Sursauts (E4)
5.5. Trouble de concentration (E5)
5.6. Perturbation du sommeil (E6)
Au total pour poser le diagnostic, au moins 6 critères positifs parmi les 20 critères B, C, D et E en plus du critère A seraient nécessaires. Les symptômes en rouge sont communs avec le Trouble dépressif caractérisé (296.2) / Major depressive disorder – MDD. Le 296.2 pour un épisode unique et le 296.3 pour un épisode récurrent. Le 296.21 pour épisode léger (F32.0 dans la CIM-10) ; 296.22 pour épisode moyen (F32.1 dans la CIM-10) ; 296.23 pour épisode grave (F32.2 dans la CIM-10).
Si la CIM-11 sépare deux entités diagnostiques, le Trouble du stress post-traumatique (6B40) et le Trouble du stress post-traumatique complexe (6B41), le DSM-5 sépare deux types du même diagnostic de Trouble de stress post-traumatique (309.81). Le 1er type avec symptômes dissociatifs : dépersonnalisation (sentiment d’être détaché de soi ou d’un ralentissement temporal) et/ou déréalisation (sentiment d’irréalité de l’environnement). Le 2d type à expression retardée : si le trouble apparaît plus de 6 mois après l’événement traumatique.
Les deux approches de la CIM-11 et du DSM-5 exigent l’existence d’une symptomatologie encore présente au moins un mois après l’événement traumatique. Ce point est positif car au décours immédiat d’un ET, les réactions émotionnelles au stress sont physiologiquement normales et adéquates comme nous l’avons déjà mentionné. Ces réactions participent de la résilience. Afin de ne pas gâcher ces possibilités de résilience, il est fondamental de ne pas intervenir psychologiquement dans l’espoir mal placé d’empêcher qu’un risque de TSPT (événement à potentiel traumatique) se transforme en TSPT. Ces « débriefings » ont toutes les chances de suggérer (au sens hypnotique) à la personne affectée qu’elle a vécu quelque chose qui obligatoirement devra se transformer en TSPT. Nous évoquerons dans une prochaine série les métanalyses publiées dans la Librairie Cochrane ayant montré que non seulement ce n’est d’aucune efficacité mais que cela augmente le risque d’occurrence du TSPT.
Dans ma situation professionnelle actuelle et pour échanger avec collègues et/ou médecins-conseils de l’Assurance Invalidité ou des compagnies d’assurance de santé, j’utilise le DSM-5. Toutefois, en ce qui concerne ma pratique diagnostique en lien avec mon travail psychiatrique et psychothérapeutique (thérapie systémique et hypnose médicale, ainsi qu’une approche modifiée de l’EMDR (MESMAY), à titre d’outils complémentaires à l’approche systémique), je ne tiens pas compte du critère A pour poser le diagnostic de TSPT. Un des problèmes de la définition du TSPT par la CIM et le DSM-5 est que leurs approches diagnostiques athéoriques impliquent nécessairement un événement traumatique. Les recherches récentes, en particulier celles menées aux USA par l’équipe de Rachel Yehuda ont prouvé l’occurrence de TSPT hérité épigénétiquement (cas des descendants de victimes de l’holocauste) sans donc que les malades eux-mêmes aient été confronté à un événement potentiellement traumatique (ET). Le TSPT est un phénotype associé à la non capacité de se remettre d’un ET se caractérisant par des réactions inadéquates, alors que la majorité des êtres humains victimes d’un ET significativement grave s’en remettent sans développer la maladie en raison de leur capacité résiliente (pour au moins 2/3 d’entre eux selon la plupart des données d’enquêtes épidémiologiques). Le facteur de risque du TSPT n’est donc pas systématiquement un ET expérimenté personnellement par le malade comme on le pensait depuis que ce trouble a fait son apparition dans le DSM-III en 1980. Seule donc une minorité (quand même 1/3) des personnes victimes d’un événement traumatique développe un TSPT (Kessler[3], 1995). Dans les premiers jours après avoir été témoin (comme victime ou comme observateur impliqué) d’un ET, on peut bien-sûr présenter des symptômes ressemblant à ceux du TSPT mais ils disparaissent rapidement en général. Un peu comme dans le cas du deuil. Nous avons tenté de démontrer, dans notre série Du Vague à l’âme, le caractère approprié et en réalité sain de ces réactions initiales pour justement prévenir l’occurrence d’un TSPT.
Dans les prochains épisodes de cette série de Troubles du spectre traumatique, nous retiendrons deux diagnostics : le TSPT simple que nous intitulerons TSPT-TD (TSPT sans le type dissociatif) et le TSPT complexe que nous intitulerons TSPT+TD (TSPT avec le type dissociatif).
[1] Ce point sera abordé dans le prochain épisode de cette série.
[2] Nous verrons dans un prochain épisode qu’un soutien médico-psychologique au décours strict d’un ET peut avoir du contenu. Toutefois ce contenu ne doit pas correspondre à un débriefing de l’ET susceptible comme on l’expliquera d’induire une suggestion pathologique. Le contenu peut en revanche être utile pour prévenir une hyperréaction neurovégétative par la prise de médicaments (bétabloquants non spécifiques et/ou corticoïdes) ou par des mesures de renforcement parasympathique (HRV biofeedback / cohérence cardiaque).
[3] Kessler et son équipe ont aussi estimé la prévalence sur la vie d’un événement menaçant la vie (environ 65%) et le taux secondaire de TSPT d’environ 7-8% dans la population civile et 20% chez les anciens combattants militaires.
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