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Dr Jean-Pierre Papart

Les troubles du spectre traumatique (Episode n°6)

Dernière mise à jour : 25 oct.



Les troubles du spectre traumatique – physiopathologie – 3ème partie


Beaucoup de difficultés dites psychiques, voire de maladies mentales, sont le résultat de la résolution incomplète d’une agression, d’un abandon, … Nous pouvons mentionner le trouble de stress post-traumatique (TSPT), simple sans dissociation (TSPT-TD) ou complexe souvent du type dissocié (TSPT+TD), le trouble du développement traumatique (TDT) proposé par Bessel Van der Kolk mais non validé dans la dernière version du DSM, mais encore les troubles de l’adaptation, les troubles de personnalité borderline, le trouble dépressif caractérisé (TDC) et la plupart des troubles anxieux.

 

Un ou plusieurs stimulus inconditionnels générateurs de terreur (événements à potentiel traumatique (EPT) / « traumas ») se retrouvent le plus souvent en amont de l’expression symptomatique de beaucoup de troubles anxieux. L’explication est que la décharge émotionnelle traumatique n’aurait pas pu aller jusqu’au bout de sa résolution par la fuite, la contre-attaque ou un figement initial limité dans le temps et que la dissociation et le figement psychomoteur aurait prévalu (TSPT+TD), n’offrant aucune échappatoire à l’énergie émotionnelle accumulée, ou sinon la persistance à long terme d’un état d’hypervigilance (TSPT-TD).

 

Comme annoncé à la fin de l’épisode n°3 de la présente série, nous retenons deux diagnostics de TSPT, le simple sans trouble dissociatif associé (TSPT-TD) et le complexe avec trouble dissociatif associé (TSPT+TD). En cas de TSPT+TD le score de diagnostic DSM-5 est en moyenne de 14/20, en cas de TSPT-TD il est en moyenne de 11/20 (donc dans les 2 cas nettement supérieur à 6). Pour les témoins, le score atteint en moyenne 2/20.

 


Théorie de la variabilité des circuits cortico-limbiques de l’information intéroceptive

 

On peut comparer les connexions entre le cortex préfrontal ventromédian (CPFVM), l’amygdale et la substance grise périaqueducale (PAG) dans 3 situations différentes : en cas de TSPT simple (TSPT-TD), en cas de TSPT de type dissocié (TSPT+TD) et chez les témoins.

 

Le trouble du stress post-traumatique sans élément dissociatif (TSPT-TD) est associé à une réduction de la modulation émotionnelle top-down par inhibition de l’action du CPFVM (AB25, voir Figure n°2), ce qui entraîne en aval une hyperactivité amygdalienne. C’est cette hyperactivité amygdalienne (par déconnexion d’avec le CPFVM) identifiable par la forte connectivité entre le noyau basolatéral de l’amygdale (BLA)[1] et la PAG dorsolatérale[2] qui est alors à son tour hyperstimulée. Cela explique la chronicité de l’hyperexcitabilité émotionnelle, de l’hypervigilance et de l’exacerbation des réactions de défense associées au TSPT-TD. La quasi-absence de régulation top-down (du cortex vers les structures limbiques) se traduit par une forte prédominance des connexions bottom-up de la PAG vers le CPFVM, de la PAG vers le noyau de sortie (CE) de l’amygdale, et du noyau basolatéral de l’amygdale (BLA) vers le CPFVM (Figure n°1). Ces connexions à prédominance bottom-up s’observent dans les deux hémisphères et sont radicalement plus fortes que celles du même type observées chez les témoins en situation de stress. C’est la connectivité très accrue entre PAG et CE, en comparaison à ce qui s’observe chez les témoins, qui explique particulièrement l’hypervigilance et l’hyperexcitation observées dans le TSPT-TD.  Dans l’hémisphère droit a été constaté une connectivité top-down entre le CPFVM et le CE amygdalien. Toutefois cette action corticale inhibitrice ne modifie pas substantiellement l’effet global de la connectivité générale observée dans le TSPT-TD.

 

En résumé, en cas de TSPT-TD, il y déficit de modulation corticale en raison d’une certaine mise hors circuit du CPFVM avec en conséquence une hyperréactivité émotionnelle. On peut ajouter que dans cette situation, le CPFVM n’est plus en mesure de faire les bons calculs bayésiens de prédiction de l’absence de danger car la perception intéroceptive est par trop inadéquate. L’automatisme des noyaux du tronc cérébral est majoré (en comparaison aux témoins) en raison d’une connexion plus forte de la PAG avec ces derniers. Au grand total, dans le TSPT-TD, il y a hyperactivité amygdalienne et hypoactivité du CPFVM et donc impossibilité de rétroaction sur le limbique émotionnel.


Figure n°1 : Comparaison entre le TSPT simple (TSPT-TD) et le TSPT de type dissocié (TSPT+TD).

En cas de TSPT+TD, on constate au contraire une modulation majorée top-down en provenance du CPFVM qui se traduit par une hypoactivité de l’amygdale expliquant du détachement émotionnel, de l’hypoémotivité tant pour les émotions négatives que positives, de la dépersonnalisation et de la déréalisation. C’est la baisse de la vigilance et l’émoussement émotionnel qui conduisent à la déréalisation et la dépersonnalisation. En cas de TSPT+TD, la connectivité est à sens unique top-down dans les deux hémisphères entre le CPFVM et la PAG et entre le CPFVM et le BLA. La connectivité est aussi à sens unique top-down entre le CPFVM et le CE du côté droit mais pas du côté gauche, renforçant la modulation cortico-limbique. Concernant la connectivité entre l’amygdale et la PAG on constate aussi une prédominance top-down entre BLA et PAG ainsi qu’entre CE et PAG dans les deux hémisphères.

 

En résumé, c’est cette sur-connectivité généralisée top-down qui génère la domination totale du CPFVM sur l’amygdale dans le TSPT+TD. La très forte connectivité top-down entre CPFVM et PAG entraîne une hyper-régulation, une inhibition de la réactivité limbique et donc de l’hypoexcitation, associée à une analgésie opioïde médiée spécifiquement par la PAG ventrolatérale. Cette connexion inhibitrice top-down CPFVM-PAG traduit la prééminence de la conviction bayésienne que face à un danger grave, seule la sidération donne une chance de survie.

 

Chez les témoins en situation de stress, il y a comme pour le TSPT-TD (et contrairement à ce qui est observé dans le TSPT+TD) une connexion bottom-up entre la PAG et le CPFVM des deux hémisphères[3],ainsi qu’entre le BLA et le CPFVM des deux hémisphères, ainsi qu’une autre connexion bottom-up entre le CE droit et le CPFVM. Il y a connexion bottom-up de la PAG vers le CE dans les deux hémisphères comme pour le TSPT-TD et contrairement à ce qu’on observe dans le TSPT+TD. Contrairement à ce qu’on observe dans le TSPT-TD et dans le TSPT+TD, il n’y a pas de connexion significative entre le BLA et la PAG. Comme pour le TSPT-TD, il n’y a pas de connexion significative ente le CE et le CPFVM dans l’hémisphère gauche. Par contre si dans le TSPT-TD et dans le TSPT+TD où il y a une connexion top-down entre le CPFVM et le CE dans l’hémisphère droit, la connexion est dans l’autre sens chez les témoins, c’est-à-dire bottom-up entre le CE et le CPFVM dans l’hémisphère droit. Pour les témoins, le circuit amygdale-PAG n’est pas aussi actif que pour le TSPT-TD.


Figure n°2 : A gauche : Vue latérale gauche / A droite : Vue sagittale droite.



Notes :

[1] Dans cet épisode, les données de recherche actuellement à disposition ne permettent pas de différencier les fonctions spécifiques du noyau latéral (LA) et du noyau basal (BA) de l’amygdale, raison pour laquelle nous introduisons le concept moins spécifique de noyau basolatéral (BLA).

[2] Spécifiquement la PAG dorsolatérale caudale (cDLPAG) et dorsolatérale rostrale (rDLPAG). Voir notre série précédente Du Vague à l’âme, épisode n°9.

[3] En effet, chez les témoins, il n’y a pas de nécessité de régulation top-down du CPFVM sur la PAG, contrairement à ce qu’on observe dans le TSPT+TD, car chez les témoins il n’y a pas d’activation pathologique des circuits de défense et de peur n’ayant pas été significativement exposés à d’éventuels événements significativement traumatiques.




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