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  • Dr Jean-Pierre Papart

Le cerveau bayésien (Episode n°2)

Dernière mise à jour : 25 janv. 2023

Pour de nouvelles narrations à destination des patients atteints de TSP et TSA.


Les troubles du spectre psychotique, comme ceux du spectre autistique, sont particulièrement stigmatisants pour ceux qui en sont victimes, convaincus qu’ils sont d’être atteints dans leur personnalité, de ne pas être « normaux ». La théorie du cerveau bayésien autorise de nouvelles narrations sur base des nouvelles compréhensions que les travaux de Frank Friston nous apportent.


Toute représentation est le produit d’une construction entre une sensation extéro- ou intéroceptive (la vue, l’audition, l’intéroception, …) et d’un "prior", un modèle interne ou "génératif". Par exemple, le mur du fond de mon bureau est blanc. C’est la représentation que je m’en fais. Mais je sais (en raison de mes études de médecine) que les données visuelles que reçoit mon cortex occipital en provenance de ma rétine et après un triage au niveau du thalamus correspondent bien à une surface blanche mais avec deux trous noirs. Pourquoi ? Parce qu’au centre des rétines, à l’endroit où se trouve l’origine des nerfs optiques droit et gauche, il n’y a pas de cellules visuelles – cônes et bâtonnets – en mesure de transmettre de l’information visuelle. Pourtant le mur que je vois est totalement blanc. Il en est ainsi parce que mon cortex fait le « raisonnement » bayésien et inconscient suivant : dans ma culture les murs des pièces sont en général peints de manière unicolore – qui plus est dans un cabinet médical – (c’est mon modèle interne de représentation, mon "prior") et donc si c’est blanc au-dessus, en-dessous, au centre, à droite et à gauche, alors ça doit être blanc partout. Il en résulte l’ « hallucination » de voir un mur tout blanc.


En cas de trouble du spectre psychotique, les "priors" sont à l’occasion particulièrement dominants lors des décharges particulièrement fortes de dopamine sur les récepteurs D2 du striatum cérébral et beaucoup plus en tout cas que ne peuvent l’être à ce même moment les sensations expérimentées. Cela est-t-il bien suffisant pour désigner un "fou" ?


Au contraire, en cas de trouble du spectre autistique, ce sont les sensations qui dominent fortement au point de rendre inopérante l’intervention des "priors". Le regard ou l’expression orale d’un tiers peut représenter pour un autiste une telle charge informationnelle qu’il ne pourra pas le supporter sous peine de mettre en péril son sentiment d’agentivité l’entraînant à ressentir un mimétisme incontrôlable si ce n’est en se fermant à la sensation, en particulier en détournant son regard et en inhibant toutes ses émotions. La surcharge sensorielle dépasse dans ce cas la capacité de calcul bayésien nécessaire à la production d’une représentation ad hoc.


Histoire N°1

Comment expliquer qu’environ une personne sur 150, à peu près partout dans le monde et à travers toute l’histoire de l’humanité présente les caractéristiques que nous appelons schizophrénie ou trouble du spectre psychotique ? Si ces caractéristiques sont au moins partiellement déterminées par des raisons génétiques, comment expliquer dans une perspective darwinienne qu’elles se soient maintenues jusqu’à nos jours alors que pour la communauté humaine actuelle elles ne sont plus désirables, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif et qu’elles sont surtout la cause de beaucoup de souffrances, celles-ci aussi tant au niveau individuel que collectif ? L’explication est que ces caractéristiques ont eu un rôle tellement fondamental qu’on peut imaginer qu’elles auraient peut-être tout simplement permis à l’humanité de survivre. Comment ? Notre espèce – Homo Sapiens – est vieille ou plutôt encore très jeune d’à peine 300'000 ans d’existence. D’autres espèces du même genre – Homo – ont survécu plus de 5 fois plus, comme Homo Erectus, mais d’autres sont disparues plus rapidement, comme Homo Neandertalis, une espèce que nous avons croisée et avec laquelle nous avons eu des échanges lorsque nous sommes arrivés d’Afrique il y a environ 50'000 ans. Le berceau de notre espèce est la savane est-africaine et de là nous avons migré par petits groupes de 20 à maximum 150 têtes à raison d’environ 20 km par génération. Nous savions déjà chanter et parler mais n’avions pas encore inventer ni la religion (dans le sens où on comprend ce mot aujourd’hui) et encore moins le droit. Les caractéristiques propres aux hominidés et plus encore ceux spécifiques à notre espèce présentaient de grands avantages mais n’étaient toutefois pas sans graves effets secondaires possibles. Il nous faut particulièrement mentionner un mimétisme puissant. Nos gestes agissent sur nos congénères comme des incitations motrices, alors on peut concevoir quelque chose comme un stimulus mimétiquement compétent (SMC) à l’instar du stimulus émotionnellement compétent (SEC). En remontant d’Afrique nous avons rencontré des espaces et périodes où le risque de famine a dû être particulièrement aigu. L’accès trop faible à la nourriture était susceptible de déclencher de l’agressivité interindividuelle voire un "tous contre tous". Par un mimétisme particulièrement développé chez l’espèce humaine comme nous l’avons mentionné et en grande partie inconscient, le risque du tous contre tous pour avoir accès à la nourriture est susceptible de pousser la communauté dans un suicide collectif. Et c’est là qu’intervient l’ancêtre du schizophrène qui par son hypersensibilité (la force de ses "priors") et la capacité de prendre conscience de ce qui est inaccessible à la majorité pourra identifier le risque d’un déclenchement d’une réaction de peur collective qui, elle aussi mimétique, pourrait engager la communauté dans un projet suicidaire. Il mettra à disposition un comportement que nous qualifions d’héboïdophrénique (caractéristique de la schizophrénie) mais perçu comme respectable par une communauté prise d’angoisse. Cet être sera désigné comme sorcier ou chamane.


Histoire N°2

Nous développons après notre naissance un très grand cerveau qui nous permettra d’entretenir des relations avec environ 150 de nos congénères à tout moment de notre existence. Ce grand cerveau nous le développons d’abord quantitativement en multipliant son poids par 5 entre la naissance et 5 ans, ensuite, dès la puberté, nous allons le personnaliser et donc le spécialiser en investissant particulièrement certains réseaux cérébraux au détriment d’autres. Ce qui signifie que nous allons multiplier par 20, soit de 500 à 10'000 par neurone concerné le nombre des connections interneuronales, nos synapses. Toutefois, pour ce faire et étant donné qu’après 5 ans notre crâne a globalement atteint sa taille définitive, la place que nos nouvelles synapses va prendre doit être gagnée sur la place que prennent les neurones. Pour trouver cette place nous allons sacrifier près de la moitié des neurones dont nous étions pourvus à la naissance, plus de 100 milliards. On imagine bien que la période de ce grand nettoyage cérébral est particulièrement délicate. On peut la situer entre 12 et 25 ans où l’on pourra estimer que le cerveau aura atteint son architecture presque définitive. Presque définitive, car l’on sait maintenant que notre cerveau, à partir de nos hippocampes, deux structures de nos cortex temporaux en charge de la gestion de la mémoire, produit tous les jours entre 800 et 1'400 nouveaux neurones. Au cours de cette période, le cerveau doit être particulièrement protégé particulièrement en ne le confrontant pas à des situations par trop traumatogènes, à de la violence sous toutes ses formes, et aussi en évitant tout contact avec des psychotropes imitateurs de nos neurotransmetteurs. A mentionner plus particulièrement le THC qui imite notre cannabis naturel, l’anandamide, ou encore la cocaïne qui imite notre hormone naturelle du plaisir, la dopamine.


Histoire N°3

Lorsqu’avant notre arrivée en Europe en tant qu’espèce Homo sapiens il y a plus de 50'000 ans, nous dormions à la belle étoile dans la savane africaine, nous étions à haut risque de nous faire engloutir par de dangereux prédateurs. Cette savane principalement faite de grandes étendues herbeuses parsemées ici et là d’arbres où nous pouvions nous protéger des ardeurs du soleil tropical.


Et maintenant un petit exercice de probabilité bayésienne. Lorsque le soir tombé, étendus à même le sol, nous cherchions le sommeil, nous ne dormions toutefois le plus souvent que d’un œil car rodaient les lions et autres hyènes en recherche de leur pitance vespérale. Plutôt que de ne dormir que d’un œil, il s’agissait plutôt de ne dormir que d’une oreille afin d’entendre les frémissements de l’herbe autour de nous qui pouvait présager l’arrivée discrète, sur la pointe des pattes, d’un ou l’autre prédateur. Car si beaucoup d’entre nous étions friands de viande à l’occasion, il en était ainsi systématiquement pour nos prédateurs. Bien sûr, les causes de frémissements des grandes herbes de la savane sont multiples, du vent le plus souvent, ou encore la présence de petits animaux, des oiseaux. Mais bien-sûr, parfois, un dangereux prédateur pour notre espèce. Comme, nous avons survécu en tant qu’espèce, nous pouvons estimer que le risque prédateur (B) ne devait toutefois pas être particulièrement incident (au sens de l’incidence en épidémiologie). Estimons que ce risque pouvait être d’une visite de prédateur une fois tous les trois ans par tête de pipe. Nous arrondirons ce risque à 1 pour 1000 jours, soit la probabilité que la cause du frémissement des herbes soit un prédateur, soit P(B) = 0.001. Le signe de la présence éventuelle d’un prédateur, soit l’effet de sa présence est le frémissement des herbes (A). Bien sûr, ce frémissement peut être dû à de nombreuses causes dont la plus rare est celle de la présence d’un prédateur. Admettons que 9 fois sur 10, ce frémissement provoqué par l’approche du prédateur soit suffisamment audible, soit P(A/B) = 0.9, la probabilité qu’un frémissement soit potentiellement audible en cas de présence d’un prédateur. Admettons encore, qu’une nuit sur 4, des frémissements peuvent être audibles (toutes causes confondues), parce que la plupart des nuits, celles-ci sont d’un calme absolu, donc P(A) = 0.25. Avec ces données nous pouvons construire un tableau à double entrée. A signifie la présence d’un frémissement potentiellement audible au cours de la nuit, A son absence. B signifie la présence du prédateur et B son absence. Nous faisons le calcul pour 10'000 nuits, soit un peu moins de 30 ans.

B

B

Nuits

A

9 (case 1)

2'491 (case 2)

2'500 (case 3)

A

1 (case 4)

7'499 (case 5)

7'500 (case 6)

10 (case 7)

9'990 (case 8)

10'000 (case 9)

Nous pouvons calculer les probabilités suivantes :

Probabilités


Présence d’un prédateur au cours de la nuit

P(B) = (7)/(10)

0.001

Frémissement des herbes au cours de la nuit

P(A) = (3)/(10)

0.2

Sensibilité du frémissement à identifier la présence du prédateur

P(A/B) = (1)/(7)

0.9

Spécificité du frémissement

P(A/B) = (5)/(8)

0.751

Faux (+) du frémissement pour identifier le prédateur

P(A/B) = (5)/(8)

0.249

Faux (-) du frémissement pour ne pas identifier le prédateur

P(A/B) = (4)/(7)

0.1

Mais audible ne veut pas dire entendu de la même manière par tout un chacun. Certains de nos congénères se sont montrés extrêmement vigilants, prenant peur au moindre frémissement pour s’encourir à toute jambe, augmentant massivement la probabilité des faux (+). Bien entendu, c’est moins grave d’avoir une nuit trop courte et que de voir sa vie écourtée. On dira que dans cette situation l’individu a fait une erreur de type 1, d’autant plus probable qu’il est un gros producteur de dopamine, un peu comme un patient psychotique hypersensible. D’autres individus, plus confiants dans leur environnement et globalement convaincus que rien de fâcheux ne pouvait leur arriver, ont pourtant fini sous les canines d’un lion et n’auront pas eu de descendant pour s’être autorisés trop de faux (-). On dira qu’ils commettent des erreurs de type 2 comme petits producteurs de dopamine qu’ils étaient. Et si donc les patients psychotiques – grands producteurs de dopamine – étaient les descendants les plus avertis des dangers qu’a connu l’humanité ?




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