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Prévenir et soigner les troubles du spectre traumatique (Episode n°7)

  • Dr Jean-Pierre Papart
  • 29 oct.
  • 9 min de lecture
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La première consultation (4ème partie)

 

L’alliance thérapeutique


Le but de la thérapie est de permettre l’émergence de priors alternatifs à ceux ayant entraîné les erreurs de calculs bayésiens responsables de la problématique. Pour que la thérapie ait une chance d’opérer, une alliance thérapeutique est incontournable entre le patient et le médecin. Celle-ci est le résultat d’une relation à la fois empathique de la part du thérapeute et de confiance de la part du patient.


L’empathie se définit comme la capacité du thérapeute à ressentir et comprendre (prendre avec) les émotions de son patient[1], mais aussi à communiquer[2] et à consoler[3]. Ces mots – empathie, compréhension, communication, consolation et confiance – ont en commun la dimension du « avec », du « ensemble », entre thérapeute et patient pour rompre la solitude du patient et passer d’un système cybernétique de type 1 (le thérapeute observe le patient de l’extérieur) à un système cybernétique de type 2 (le patient et le thérapeute opèrent dans un même système[4], mais à un niveau « hiérarchiquement[5] » supérieur).


La confiance du patient constitue l’autre prérequis pour que le travail psychothérapeutique trouve son efficacité. Deux composantes affectent la confiance. D'une part, la première rencontre avec le thérapeute est décisive. Le patient évalue le plus souvent immédiatement si le thérapeute est « digne » de sa confiance[6]. Il est important de noter que cette évaluation ne repose pas seulement sur le verbal, mais tout autant si pas davantage sur le non verbal et le paraverbal, mais encore sur l'apparence du thérapeute ainsi que sur l'agencement et la décoration de son cabinet[7]. D'autre part, l'attitude préalable du patient envers la psychothérapie est également décisive. Par exemple, la confiance dans les psychothérapeutes est généralement plus élevée si la psychothérapie est une approche de traitement culturellement acceptée. De plus, les patients qui recherchent volontairement une thérapie tendent à être plus confiants que ceux qui sont contraints socialement ou légalement d’en suivre une.


Le ressenti de confiance est d’autant meilleur que la connexion entre soi et les autres ou le monde n’est pas trop majoritairement génératrice d’erreurs de prédiction. Par rapport à l’interaction avec autrui, un prior sain consisterait à nous attendre à des comportements chez autrui que nous pouvons juger comme « normaux » ou « acceptables » selon la grille culturelle en vigueur dans l’espace géographique où nous vivons l’essentiel de notre temps. Il en est de même concernant  la confiance que l’on peut avoir dans les institutions et même les objets (instruments, machines, moyens de transport, meubles, aliments et boissons, …) que nous utilisons dans notre relation au monde. Pour Mark Hunyadi (Au début est la confiance, 2020)[8], la confiance est un « pari » – donc aléatoire – que nous faisons sur les attentes liées aux personnes, aux institutions, à l’environnement naturel et aux choses. Sa description phénoménologique de la confiance est superposable à la description neuroscientifique que l’on peut en faire sur la base de l’inférence (én)active du Principe de l’énergie libre (PEL) que nous avons déjà évoqué à de nombreuses reprises (… et ce n’est pas fini 😊).


Pour autant que l’alliance s’établisse, celle-ci permettra  de s’accorder sur l’objectif de la thérapie et les moyens d’y arriver. Elle est nécessaire à la synchronie interpersonnelle qui servira d'ancrage relationnel aux processus d'inférence énactive du patient et facilitera leur flexibilité. L’utilisation par le thérapeute des métaphores et autres éléments personnels du langage du patient facilite cette synchronie. A cette condition, les effets de la thérapie peuvent prendre l’ampleur espérée. La surprise / l’externalisation / le recadrage de la première consultation (ou du set de premières consultations) servent à instiguer un certain état de « chaos » dans les priors du patient alors qu'il explore avec le thérapeute de nouveaux états permis par une bonne alliance thérapeutique.


L’alliance thérapeutique est donc la condition sine qua non de l’efficacité psychothérapeutique. Une thérapie efficace est fondamentalement un processus de changement à la fois déterministe et chaotique dans l'expérience affective, cognitive et comportementale du patient. La dimension déterministe fait référence à un changement dans le comportement du patient vers une stabilité souhaitable (exemple, le patient commence à ressentir davantage d'émotions positives/sécurisantes). Ce processus déterministe en thérapie implique par exemple une intervention top-down (renforcement des priors efficaces) afin de déplacer l’attraction psychique dans une direction souhaitée, comme vers une émotion plus stable et positive. La dimension chaotique du changement engage une exploration inusitée d’états (émotions, pensées, comportements) « instables » dans lesquels le patient pourrait se trouver, voire artificiellement et volontairement, dans le cadre de la thérapie. Ce processus de changement chaotique vise à modifier les priors inefficaces ou contre-productifs et peut bénéficier en psychothérapie de deux instances d'instabilité, d’une part celle due aux techniques employées par le thérapeute et d'autre part celle due directement à l’alliance thérapeutique. Le principe de l’énergie libre (PEL) nous permet de concevoir que l'augmentation de l'instabilité du fonctionnement d'un patient due à ces deux dimensions de la thérapie comme une réduction des précisions / de la certitude liée aux croyances antérieures (priors), en passant par un processus initial instable de désorganisation (le concept de « précision » fait référence au niveau de confiance associé à une prédiction). Une bonne alliance thérapeutique, caractérisée par une synchronie interpersonnelle, entraîne l'émergence d'un nouveau niveau hiérarchique[5] dans le modèle génératif du patient de lui-même et de sa relation avec le monde, ce qui lui permet de « s'ouvrir », c’est-à-dire d'éprouver des pensées, des émotions et des expériences nouvelles, annonciatrices d’un changement qui réduira la fausse précision des croyances antérieures. Dans ce processus chaotique, le patient ressent d'abord un élargissement des pensées, des émotions et des choix comportementaux, avant que les états du patient se déplacent vers une gamme d'expériences plus souhaitable (processus déterministe), qui, dans l'étape finale, se stabilise en une nouvelle norme (processus chaotique) suite à la révision de ses priors et des modifications profondes de son système hiérarchique. Les processus chaotiques permettent au patient d’explorer une gamme plus large de perceptions possibles avec son environnement, ainsi qu'une gamme plus large d'expériences psychologiques intérieures. La réduction de la précision des croyances ressemblerait à une « ouverture » qui pourrait précéder dans un second temps un changement plus déterministe du système dans une direction particulière, et la formation d'un nouveau bassin d'attraction, dans un état plus souhaitable. Mon approche et je pense l’approche systémique en général donne la priorité temporelle au processus chaotique. La réduction visée de la précision des priors peut permettre au patient de percevoir ce qu’il ne perçoit normalement pas, entreprendre des actions qu'il ne ferait normalement pas, avoir des pensées et des émotions et exprimer des affects à des moments ou de manières qui ne sont pas typiques pour lui.


Les techniques proposées de surprise, d’externalisation, de recadrage, de prescriptions paradoxales, d’hypnose-EMDR, de PAP, sont des exemples d'interventions à visée chaotique qui ne poussent pas l'état du système dans une direction particulière (comme dans l’approche déterministe homéostasique), mais peuvent avoir pour effet de rendre possible une gamme plus large d'expériences ou de comportements, via l’entraînement de stimulations bottom-up encore inusitées sur le système hiérarchique[9].


L’alliance thérapeutique n’est en aucune sorte le transfert au sens freudien du terme. Si le transfert est un lien irréel et déformé, l’alliance est au contraire un lien réel et authentique entre patient et thérapeute. Elle n’est en aucune manière une projection du patient sur le thérapeute, par exemple d’une autre personne avec laquelle le patient a ou a eu un lien réel, comme un parent par exemple[10].


J’aime à dire que l’alliance thérapeutique est un « allorcisme »[11]. Ne cherchez pas ce mot au dictionnaire vous ne le retrouverez pas. Ce n’est en rien un « exorcisme » 😊, qui serait de chasser / d’adjurer / de faire sortir quelque chose du l’autre – du patient – mais tout au contraire d’accueillir une altérité et de reconnaître que tout ce qui nous hante ou hante un patient n’a pas nécessairement vocation à être expulsé. L’ « allorciste » se relie à l’autre, il ne cherche pas à « purifier » comme s’imagine le faire l’ « exorciste » mais bien à faciliter une « transmutation » ou une « bifurcation » dans le sens que lui donne Ilya Prigogine[12].


****


A la fin de la première consultation – non pas à la fin du set de premières consultations – j’effectue deux choses afin de vérifier la réalité ou non de l’alliance thérapeutique. Je n’attends pas d’avoir nécessairement finalisé les trois premières étapes – surprise, externalisation, recadrage – qui peuvent prendre davantage de temps qu’une seule consultation (ce que nous avons appelé le set de premières consultations), car le ressenti empathique  du thérapeute et de confiance du patient sont des phénomènes qui se déclenchent très rapidement et dont l’interprétation est le plus régulièrement davantage fiable au tout début d’une relation.


Ces deux choses qui me servent à évaluer initialement la réalité du lien sont les suivantes :


1.     Je compare la position physique du patient dans son fauteuil à ma propre position. Le plus souvent, le réseau du mode par défaut (DMN) du patient comme du mien, n’ont pas pris trop d’importance et que les réseaux de saillance (SN) et de contrôle exécutif (ECN) ont été nettement prédominants. Dans ce cas, on peut constater que la position physique, tant du patient que du thérapeute, est assez similaire. On peut, par exemple, constater que patient et thérapeute se sont tous deux confortablement installés au fond de leur fauteuil, le tronc du patient penché du côté gauche et celui du thérapeute du côté droit (ou l’inverse), c’est-à-dire en miroir l’un par rapport à l’autre, les deux ont aussi (ou non) croisé les bras et/ou les jambes, pareillement en miroir. Je demande fréquemment au patient qui a copié qui et en lui précisant que je serais personnellement incapable moi-même de répondre à cette question. C’est un signe non verbal très évocateur de la possibilité d’un lien thérapeutique. Nous avons vu  antérieurement[13], qu’un des rôles du DMN est d’assurer le sujet qu’il est bien l’auteur de ses pensées, sentiments, émotions et comportements et non pas complètement déterminé par un tiers mimétique. C’est un bon signe si ce besoin d’auto-réassurance n’est pas par trop dominant.


2.     J’explicite au patient la chose suivante : « vous savez, avec un médecin, et qui plus est avec un psy, c’est très important de se sentir à l’aise, en confiance. On a bien sûr quelques garanties comme le secret médical, mais ce n’est pas suffisant. Il faut se demander si on se sent bien dans son corps, si on se trouve suffisamment détendu(e), si on ne regarde pas tout le temps l’horloge à se demander quand est-ce que cette consultation va enfin se terminer, si on n’a pas la bougeotte dans les jambes car elle sont trop impatientes de quitter le cabinet. Si on ne se sent pas à l’aise, ça peut difficilement « jouer »[14], alors écoutez votre corps et ce qu’il a à vous dire. On ne peut pas être un bon psy pour tous les patients et c’est au patient de l’identifier ». Dans mon for intérieur je me pose aussi la question « est-ce que j’aime bien ce patient, est-ce que j’ai envie de l’aider ? ». C’est très majoritairement le cas, mais il peut y avoir des exceptions et me demande alors quel(le) serait parmi mes collègues celui ou celle avec qui je pense que cela pourrait davantage « jouer » qu’avec moi.




Notes :

[1] Empathie du grec ἐμπάθεια (empátheia) composé de ἐν (en) signifiant « dans » et πάθος (pathos) signifiant « émotion ». Le « dans » signifie précisément « mettre en soi ce qui vient de l’autre », donc ressentir à l’intérieur de soi ce que ressent l’autre ou simplement ressentir avec.

[2] Il faut comprendre ici le concept de communication dans son acception ancienne (XIVème siècle) dérivée du latin de communicare signifiant mettre en commun ou communier, et donc non pas prioritairement dans son acception moderne de transmission informationnelle.

[3] Consoler du substantif latin consolatio et du verbe consolari. Consolari est composé de con- : un préfixe signifiant "avec" ou "ensemble" (cum), exprimant ici l'idée d'accompagnement ou de renforcement et d’un verbe solari signifiant "soulager", "réconforter", lui-même dérivé de solus, qui veut dire "seul". A l'origine, consoler signifie littéralement "soulager / réconforter quelqu’un dans sa solitude" ou "faire alliance avec celui qui est seul".

[4] Le mot système inclut pareillement la dimension du avec/dans, du grec : σύν + ἵστημι = "ce qui se tient ensemble".

[5] Nous développerons le sens neuroscientifique du concept d’hiérarchie dans un prochain épisode de la série Le cerveau bayésien.

[6] Ce ressenti immédiat s’explique par le phénomène physiologique de variabilité de la fréquence cardiaque (VFC) que nous avons décrit antérieurement (Prévenir et soigner les troubles du spectre traumatique, Episode n°1). Le lien thérapeutique passe par des attitudes thérapeutiques qui vont stimuler le vagal ventral du patient comme le regarder dans les yeux, lui dire des propos rassurants et réconfortants, etc.

[7] Albert Scheflen (1920-1980, psychiatre, proche connaissance de Don Jackson) s’est intéressé aux positions corporelles du patient comme du thérapeute au cours de la consultation, comme indicateurs de l’alliance. Il est connu pour ses travaux sur la communication non verbale (Body Language and the Social Order: Communication As Behavioral Control (1972).

[8] Mark Hunyadi, qui m’a accompagné tout au long de mon mandat de Promotion de la santé mentale lié au projet de Planification sanitaire qualitative du Canton de Genève (1999-2006), avait écrit la postface de mon livre Lien social et santé mentale, publié aux Editions Médecine & Hygiène en 2006.

[9] Nous avons vu précédemment (Prévenir et soigner les troubles du spectre traumatique, Episode n°4) l’implication majeure du récepteur sérotoninergique 5-HT2A dans ce processus.

[10] Le transfert (Übertragung en allemand), selon Freud (Die Dynamik der Übertragung, 1912), est un déplacement de sentiments inconscients (souvent d’origine infantile) vers la personne de l’analyste. Le transfert est lié au passé du patient, et n’est donc pas une relation hic et nunc authentique avec le thérapeute, contrairement au lien thérapeutique ou à l’alliance thérapeutique.

[11] « Allo » du grec allos qui signifie « autre » et « -rcisme » issu d’exorcisme (exorkismos).

[12] Nous explorerons ce concept épistémologique fondamental à la compréhension de la nouvelle systémique dans un prochain épisode du Cerveau bayésien.

[14] Je mets « jouer » entre parenthèses car il s’agit d’une expression très typiquement suisse romande.

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