Prévenir et soigner les troubles du spectre traumatique (Episode n°4)
- Dr Jean-Pierre Papart

- 11 août
- 38 min de lecture
Usage des psychédéliques pour le traitement du TSPT résistant à la psychothérapie

Recommandation : Utilisation des psychédéliques exclusivement dans le cadre d’une Psychothérapie Augmentée par Psychédéliques (PAP) et uniquement en prévention secondaire (au décours d’un TSPT installé), mais pas en prévention primaire (entre l’événement à potentiel traumatique et l’apparition du TSPT). Conditions d’utilisation : 1) L’assurance de l’établissement d’un lien thérapeutique significatif entre patient et thérapeute ; 2) Dans le cadre d’une thérapie d’exposition (plusieurs techniques possibles réelles ou symboliques imaginaires) et 3) Après sevrage préalable des inhibiteurs du récepteur sérotoninergique 5-HT2A si déjà prescrits (la plupart des antidépresseurs et des neuroleptiques). Raison pour laquelle l’association est obligatoire entre psychothérapie et usage de psychédéliques : les psychédéliques qui sont agonistes du 5-HT2A sont efficaces contre le TSPT, mais uniquement s’ils sont prescrits dans le cadre d’une PAP. Pourquoi ? L’une des principales hypothèses est qu’ils augmentent l’activité du réseau de saillance (SN), le rendant disponible à la perception des indices de sécurité apportés par la thérapie tout en visualisant en imagination – dans le cadre de celle-ci – les événements à potentiel traumatique (EPT) à l’origine du TSPT. En cas de TSPT, il existe une suractivité aberrante du SN centrée sur les indices en lien avec les EPT à l’origine du TSPT. L’usage de psychédéliques, en dehors d’une thérapie d’exposition sécurisante, ne fera que renforcer la symptomatologie anxieuse. Les raisons de ne pas considérer systématiquement la PAP en tout dernier recours, mais seulement en cas de résistance à l’approche thérapeutique préalablement engagée, tiennent au double objectif de santé publique (réduire la durée de la maladie pour baisser la prévalence du TSPT) et éthique (réduire la durée de la souffrance des personnes concernées). |
Notre conception de la psychothérapie systémique renouvelée à partir des recherches sur le principe de l’énergie libre de Karl Friston
Le principe de l’énergie libre (PEL) de Karl Friston fournit un cadre pour comprendre la pathologie traitée en psychiatrie et psychothérapie. Comme nous l’avons mentionné dans l’épisode n°3 de l’actuelle série, cette nouvelle théorie s’intègre parfaitement dans la continuité de l’approche systémique de la psychothérapie (une première approche de cette théorie a été présentée dans l’épisode n°9 de la série Les troubles du spectre traumatique où nous avions insisté sur sa dimension d’ « inférence active »). Précisons le vocabulaire proposé par Friston. Son concept d’ « énergie » peut-être compris comme de l’« information », de l’évidence de signification, surtout si nous concevons notre cerveau métaphoriquement comme un disque dur informatique où circule de l’information. Et le qualificatif « libre » décrirait la part de l’information non prédite. Cette part non prédite est l’« erreur de prédiction », c’est-à-dire la part d’information « non liée » entre la sensation expérimentée et la sensation attendue correspondante à une attente explicable. Sur la base de ce qu’il a appris de ses expériences antérieures, notre cerveau prédit ce qui va arriver à partir des sensations qui lui arrivent et perçoit le différentiel entre l’expérimenté et l’attendu / le prédit. Ce différentiel, cette « erreur de prédiction », s’il est significatif, va générer une émotion de surprise. La surprise surgit du différentiel entre la prédiction (l’expectation ou prior) et la sensation entrante (input). Dans le principe de l’énergie libre, « libre » se dit aussi « non-liée », pour exprimer qu’un lien n’est pas établi entre sensation et attentes. On peut encore dire que l’information libre est une information non prédite et même une « entropie » informationnelle selon Claude Shannon (un acteur important des Conférences de la Macy Foundation desquelles est née la psychothérapie systémique)[1].
Le PEL postule que tous les systèmes vivants survivent en minimisant la différence entre les entrées sensorielles et les prédictions basées sur un modèle interne (génératif) du monde (les croyances). Cela signifie que minimiser l'énergie libre revient à maximiser l'évidence du modèle, et ainsi concevoir l’équation suivante : énergie libre = complexité – précision. La précision détermine le niveau de certitude que l’on a par rapport à une croyance. Et la croyance est la distribution de probabilité concernant l’état inconnu. Si la variance (V) de la distribution de la probabilité est étroite – concentrée autour d’une valeur attendue – alors on dira que la précision (P) est forte (P = 1 / V). Le « modèle génératif » de Friston est en quelque sorte une hypothèse explicative de l’input ressenti. Deux types d’erreurs d’inférences sont possibles : des erreurs de type 1, à savoir inférer ce qui n’est pas, un faux positif (ex. : hallucinations) ou des erreurs de type 2, inférer qu’il n’y a rien alors qu’il y a quelque chose, un faux négatif (ex. : syndrome de négligence). Selon le PEL, la psychopathologie peut ainsi être interprétée en termes d'inférence erronée.
Pour survivre, un organisme vivant a besoin d’identifier le plus clairement / précisément possible un événement à potentiel traumatique (EPT) éventuellement mortel. S’il a pu rencontrer cet événement et y survivre (par la fuite, la confrontation ou même le freezing)[2], il est important que l’interprétation de cet événement et le modus operandi qui lui a permis la survie soit mis en mémoire procédurale et deviennent un prior. L'apprentissage à partir de résultats inattendus est important pour la survie des organismes vivants, ce qui leur confère un avantage évolutif clair. Par contre, pour que cet EPT ne se transforme pas à terme en TSPT, il est important qu’il existe suffisamment de précision dans la sensibilité actuelle aux événements extérieurs pour ne pas systématiquement identifier ceux-ci à de nouveaux EPT alors que ces événements sont en l’espèce non porteurs de danger. En effet, tout trouble psychique dépend de la persistance de priors inadaptés à la réalité présente – hic et nunc – du patient. Dans le premier épisode de notre série Le cerveau bayésien, nous avions présenté le symptôme psychique comme le résultat d’une erreur de calcul. Dans l’épisode n°3 de la présente série, nous avons proposé d’engager de la surprise dès l’entrée en thérapie. La surprise porte en elle la capacité de confronter les priors afin de les modifier[3]. Minimiser l'énergie libre c’est minimiser l'erreur de prédiction ou, plus précisément, l'erreur de prédiction pondérée par la précision. La précision fait référence à la prédictibilité d'une variable aléatoire. Cela signifie que les erreurs de prédiction ne doivent pas être évaluées comme surprenantes si elles apportent des informations précises. Et la psychothérapie – surtout si celle-ci est renforcée dans le cadre d’une PAP (psychothérapie assistée par psychédéliques) – sert à relâcher la précision des erreurs de prédiction. C’est ce que nous allons tenter d’expliciter dans cet épisode. La psychothérapie – éventuellement assistée par psychédéliques – permet au cerveau d'envisager plusieurs hypothèses et explications pour toute nouvelle entrée sensorielle extéro- ou intéroceptive pour autant que leurs auto-évidences implicites (priors) qui leur correspondent aient été flexibilisées, en d’autres mots que les croyances explicatives des sensations perçues puissent être mises à jour. Pour ce faire, il est important qu’existe une ouverture potentielle à la complexité, pour une confrontation « heureuse » avec nos priors interprétatifs. Cela n’est possible que dans une ambiance de sécurité. Nous verrons que toute thérapie de confrontation aux priors traumatiques n’est effective que dans le cadre sécurisant d’un lien fort entre patient et thérapeute, plus encore lorsque la psychothérapie est assistée par un psychédélique.
La sérotonine S, ses récepteurs 5-HT
Un prérequis avant d’aborder les traitements par psychédéliques dont l’action est fondamentalement déterminée par leurs effets sur plusieurs récepteurs sérotoninergiques et en particulier le 5-HT2A est d’étudier la sérotonine (S) et ses récepteurs. En effet, des pathologies psychiques comme le TSPT, le trouble dépressif caractérisé (TDC) / major depressive disorder (MDD correspondant au code 296.2 du DSM-5), les troubles anxieux, les TOC sont associés à de faibles concentrations en S dans le LCR, en raison 1) d’une moindre production de S, 2) d’une surstimulation de ses récepteurs présynaptiques et 3) d’une métabolisation accélérée de la S en son principal métabolite (acide 5-hydroxyindole acétique).
Le neurotransmetteur S nous intéresse au premier chef pour son rôle dans le TSPT. D’une part, parce que les régions cérébrales très impliquées dans l’apprentissage aversif (mémorisation de la peur), comme l’amygdale, l’hippocampe et le cortex préfrontal ventromédian (CPFVM) présentent une forte densité de récepteurs à la S. D’autre part, pour l’usage thérapeutique que nous faisons des inhibiteurs de la recapture de la S (ISRS et IRSN), ainsi que des psychédéliques. C’est à partir du raphé mésencéphalique que la S va se distribuer à différentes structures cérébrales pour diverses fonctions, selon qu’elle est produite et distribuée à partir des noyaux dorsaux du raphé (NDR) qui innervent l’amygdale ou des noyaux médians du raphé (NMR) qui innervent l’hippocampe. L’effet de la S est déterminé par les récepteurs sérotoninergiques 5-HT qu’elle stimule spécifiquement. Etant donné que l’hippocampe est innervé par la S, une moindre sécrétion de S par les neurones du NMR réduit la récupération des informations contextuelles dépendantes de l’hippocampe. Cette désactivation hippocampique a aussi comme effet de désinhiber l’amygdale et ainsi d’augmenter la consolidation de la mémoire émotionnelle de l’EPT dépendante de cette structure, au détriment de la mémoire exécutive. La S est un neurotransmetteur qui intervient dans la motivation, le comportement, la mémoire, l’humeur, le sommeil, l’éveil, la sexualité, l’analgésie, mais aussi dans l’homéostasie gastro-intestinale et la coagulation sanguine. Seulement 1 à 2% de la S dans le corps humain se trouve effectivement dans le système nerveux central (SNC). La plus grande proportion (environ 90%) se trouve dans les cellules entérochromaffines de l'intestin. Comme elle a d’abord été identifiée dans le tube digestif, la S a d’abord été nommée entéramine (Vitorio Erpsamer, 1933). La S sécrétée par les entérochromaffines stimulent les récepteurs sérotoninergiques présents sur les neurones entériques et sur les muscles lisses intestinaux, en particulier les récepteurs 5-HT3, 5-HT4 et 5-HT7 qui modulent l’activité des neurones entériques qui régule la motilité intestinale pour faciliter l’avancée du bol intestinal en favorisant la contraction des muscles lisses, la sécrétion de mucus et l’absorption alimentaire. Leur surexcitation entraîne nausées, vomissements et sensation viscérale (douleur). On en trouve aussi 8% dans les plaquettes sanguines. La S des thrombocytes n’est pas sécrétées par ces cellules (elles n’ont pas de noyau) mais absorbée depuis la circulation sanguine en provenance de sa production intestinale via le même récepteur de recapture SERT que celui du cerveau (voir plus loin) pour la stocker dans des granules. La S stockée est libérée par les thrombocytes en cas de besoin de coagulation va provoquer une vasoconstriction via la stimulation des récepteurs sérotoninergiques 5-HT1B et 5-HT2B des cellules musculaires lisses des vaisseaux proximaux à la fuite sanguine. Les thrombocytes vont aussi s’agréger pour former un clou plaquettaire et ainsi « boucher la fuite ». C’est en raison de cette action de vasoconstriction qu’elle a été renommée séro-tonine au moment de l’identification de cette fonction (Page et Rapport, 1947). Au niveau du système artériel intracrânien, la stimulation chronique des récepteurs 5-HT1B et 5-HT2B en raison de consommations chroniques de cocaïne ou d’ecstasy (MDMA) peut provoquer des ictus. En absence de fuite sanguine, les 5-HT7 agissent aussi sur les cellules musculaires lisses des vaisseaux sanguins pour les dilater et faire ainsi baisser la pression artérielle. Acide aminé essentiel (dépendant de l’alimentation), le tryptophane que l’on trouve dans de nombreux aliments (lait, chia, oeufs, noix, banane, viande, poisson, riz complet, noix de cajou, légumineuse, arachide, soja, amande, chocolat) est absorbé par la muqueuse intestinale puis la circulation sanguine. Dans le tube digestif et spécifiquement dans les cellules entérochromaffines de la muqueuse intestinale, la S est synthétisée via les mêmes mécanismes enzymatiques que ceux utilisés par le cerveau. A savoir, tout d’abord une hydroxylation (+OH) du tryptophane par une enzyme hydroxylase pour former le 5-hydroxy-tryptophane, ensuite une décarboxylation (-CO2) par une décarboxylase pour former la 5-hydroxytryptamine (5-HT) ou S. Ces deux réactions enzymatiques sont dépendantes de 2 cofacteurs : le BH4 (tétrahydrobioptérine), un dérivé métabolique de la vitamine B9 ou acide folique pour la 1ère réaction et la vitamine B6 (pyridoxine) pour la seconde. La S, pour être synthétisée dans les noyaux du raphé (NR) à partir du tryptophane et les deux réactions enzymatiques mentionnées plus haut, il est nécessaire que le tryptophane soit en mesure de passer aisément la barrière hématoencéphalique. Pour ce faire, il faut qu’il n’ait pas l’occasion de se voir trop lié au fructose. Il est donc nécessaire de contrôler la consommation de ce sucre que l’on trouve en trop grande concentration dans beaucoup d’aliments industriels, mais aussi en cas de consommation effrénée de fruits. Si trop de fructose, celui-ci se lie au tryptophane qui ne sera plus alors en mesure de passer la barrière hématoencéphalique. Une fois synthétisée dans les NR, la S est transportée dans des vésicules près de la membrane présynaptique à l’extrémité axonique de ces mêmes neurones. C’est le transporteur vésiculaire monoaminergique Vmat qui fait entrer la S dans ces vésicules, comme il l’effectue par ailleurs aussi pour les autres monoamines comme la dopamine (D), la noradrénaline (NA) et l’histamine (H). Lors de la fusion de la vésicule avec la membrane cellulaire, la S est libérée dans la fente synaptique, où elle peut diffuser et se lier à l’un ou plusieurs des récepteurs 5-HT identifiés. On peut identifier trois types de récepteurs à la S, les présynaptiques (proximaux ou distaux dans les neurones du NR synthétiseurs et sécréteurs de S), les postsynaptiques des neurones appartenant aux structures réceptrices de S et ceux qu’on retrouve soit en pré-, soit en postsynaptique. 5-HT1A, 5-HT1B, 5-HT2B et le SERT (présynaptiques) En présynaptique, nous pouvons identifier les récepteurs 5-HT1A, 5-HT1B et 5-HT2B qui servent à inhiber la sécrétion de S, soit en inhibant sa synthèse (action proximale), soit en inhibant sa libération dans la synapse (action distale), ainsi que le SERT qui la recapture une fois dans la synapse et avant qu’elle n’ait pu la traverser pour atteindre les récepteurs postsynaptiques. En présynaptique proximal (somato-dendritique), les 5-HT1A et 5-HT1B sont situés à proximité du noyau du neurone synthétiseur de S, en amont de son axone. Le 5-HT1A et le 5-HT1B en autorégulent la synthèse. Lorsque ces récepteurs sont particulièrement stimulés, en raison d’une synthèse élevée de S, ils inhibent cette synthèse par rétroaction (feedback négatif), ce qui diminuera nécessairement la libération de S en aval. Les 5-HT1A et 5-HT1B se trouvent aussi en présynaptique distal à l’extrémité de l’axone où ils vont inhiber la libération de S dans l’espace synaptique. L’action inhibitrice de synthèse de la S du 5-HT1A cible exclusivement la S, alors que l’inhibition par le 5-HT1B cible aussi la dopamine (D) et la noradrénaline (NA). Un autre récepteur présynaptique, le 5-HT2B, lorsqu’il est activé par une concentration élevée de S dans l’aire présynaptique somato-dendritique, fait l’inverse du 5-HT1A et du 5-HT1B en régulant à la hausse la synthèse de S. L’action du 5-HT2B est quant à elle exclusivement localisée en présynaptique proximal. Comme le 5-HT1A et le 5-HT1B sont actifs en présynaptique proximal et distal et que leur concentration est plus forte que celle du 5-HT2B, l’effet global de la stimulation de ces 3 récepteurs présynapyiques est inhibiteur de la synthèse somato-dendritique et de la libération axonique de S. Le SERT est aussi situé aux deux niveaux présynaptiques, somato-dendritique et axonique. Le rôle du SERT est de recapturer de l’espace intersynaptique une partie importante (environ 80%) de la S qui se retrouve dans l’aire somato-dentrique et dans la synapse. Au niveau axonique, une fois recapturée dans le neurone présynaptique, la S est stockée à nouveau dans des vésicules via le transporteur vésiculaire de monoamine (Vmat) et de nouveau prète à l’emploi ou sinon métabolisée par une enzyme monoamine oxydase dans le cytoplasme du neurone. La S des plaquettes est quant à elle métabolisée dans le foie et les poumons. Des anomalies dans la transmission de la S en lien avec les 5-HT1B présynaptiques pourraient être liées à une altération de la capacité à réguler les émotions après un traumatisme, augmentant ainsi la vulnérabilité au TSPT. Une moindre expression du 5-HT1B est corrélée à l’occurrence d’importants EPT ou de symptômes de TSPT dès l’enfance par effet épigénétique (cf. Les troubles du spectre traumatique, Episode n°4). Comme déjà mentionné plus haut, le 5-HT1B est aussi inhibiteur de la production et donc de la sécrétion de D et de NA. La moindre activité de l’activité 5-HT1B observée dans le TSPT est d’autant plus nette que sa symptomatologie est forte et que les EPT sont arrivés tôt dans l’enfance. 5-HT1A, 5-HT1B et 5-HT2B (postsynaptiques) Quant aux récepteurs postsynaptiques, ils appartiennent aux neurones du circuit neuronal situés en aval des neurones sérotoninergiques issus des NR. Ils servent à propager la stimulation excitatrice ou inhibitrice afférente en fonction du sous-type du récepteur impliqué. Les récepteurs 5-HT1A, 5-HT1B et 5-HT2B interviennent aussi en postsynaptique. La concentration postsynaptique du 5-HT1B est très faible dans le cerveau et donc son action est peu significative à ce niveau (nous avons présenté son rôle spécifique dans la coagulation lorsqu’il est stimulé par la S des plaquettes sanguines) ; nous n’en dirons donc rien de plus. Pareillement aux 5-HT1B, les 5-HT2B postsynaptiques, présentent aussi une concentration cérébrale très faible et donc une action très peu significative (par contre, ils sont significativement actifs au niveau du système artériel cérébral comme nous l’avons mentionné plus haut). L’action de ces deux récepteurs est nettement plus significative en périphérie, dans les vaisseaux sanguins (y compris cérébraux) et les intestins. Les 5-HT1A postsynaptiques sont toujours inhibiteurs. Toutefois, ces récepteurs se trouvent aussi sur des neurones gabaergiques inhibiteurs, principalement dans le CPF et particulièrement dans le cortex cingulaire antérieur (CCA) et dans l’hippocampe. Ces neurones gabaergiques sont des interneurones, car systématiquement suivis en aval par d’autres types de neurones, en particulier glutaminergiques, mais pas uniquement. Les neurones gabaergiques inhibent la sécrétion en aval du glutamate par les neurones glutaminergiques qui les suivent. Toutefois, lorsque les récepteurs 5-HT1A des dendrites des neurones à GABA (acide gamma-amino butyrique) sont stimulés par la S, ceux-ci sont inhibés et ne sécrètent alors plus ou pas de GABA en aval sur les neurones glutaminergiques suivants, ce qui fait que ceux-ci continueront à secréter le glutamate (G). Il en est de même, lorsque les neurones gabaergiques sont suivis par des neurones à D, à NA et à l’acétylcholine (Ach). Lorsque les récepteurs 5-HT1A stimulent les interneurones gabaergiques, il y aura donc davantage de sécrétion de ces 4 autres neurostimulateurs. De meilleures concentrations en G, D, à la NA et à l’Ach, ce qui contribue à l’effet globalement antidépresseur du 5-HT1A, surtout lorsque celui-ci est encore davantage stimulé par des médicaments agonistes de ce récepteur. Au niveau hippocampique, la stimulation des 5-HT1A opère sur les interneurones à GABA, ce qui va inhiber l’inhibition des interneurones gabaergiques et donc favoriser la neurogenèse, ce qui va faciliter la résilience au stress et la réduction du comportement craintif en activant le rappel d’un contexte rassurant où se mêlent pourtant des souvenirs de peur, pour exercer au total un effet anxiolytique et un effet inhibiteur sur le conditionnement de la peur. La simulation des 5-HT1A contribue ainsi à l’effet anxiolytique. Tout cela est le cas dans une situation de sécurité, telle celle normalement de mise dans un contexte thérapeutique. Dans une situation anxiogène, ce sont les éléments stressants qui seront mis en mémoire. Par ailleurs, des fibres sérotoninergiques des NDR projettent aussi sur les 5-HT1A postsynaptiques des neurones magnétocellulaires des noyaux paraventriculaires (NPV) et supraoptiques (NSO) de l’hypothalamus pour favoriser la synthèse et sécrétion d’ocytocine, ce qui va faciliter les comportements prosociaux en général et le lien psychothérapeutique en particulier (cf. Du Vague à l’âme, Episode n°10). Nous verrons qu’il y a un effet de compétition entre le 5-HT1A et 5-HT2A au moment de la confrontation avec un EPT où l’activation du second inhibe l’expression du premier. Lorsqu’on introduit un ISRS, il y a d’abord inhibition du SERT dans l’espace somato-dendritique, ce qui concentre la S à ce niveau et mobilise dans un 1er temps les 5-HT1A présynaptiques pour inhiber la production de S par les neurones du NR et ainsi faciliter l’acquisition de la peur. Ce 1er temps explique l’apparition retardée d’un effet positif – anxiolytique – des ISRS. Ceci est attribuable au temps nécessaire pour la désensibilisation des 5-HT1A présynaptiques dans l’espace somato-dendritique et pour l'augmentation plus tardive de l’activité des 5-HT1A postsynaptiques. Les autres 5-HT postsynaptiques Les récepteurs postsynaptiques 5-HT2A, 5-HT2C, 5-HT5, 5-HT6, 5-HT7, 5-HT3 et 5-HT4 lorsqu’ils sont situés sur les dendrites des neurones postsynaptiques pyramidaux corticaux sont excitateurs. 5-HT2A, 5-HT2C, 5-HT5 et 5-HT6 promeuvent la neurogenèse au niveau du noyau denté de l’hippocampe (comme le fait aussi la stimulation 5-HT1A) et sont activateurs de nombreuses fonctions cérébrales et corticales en particulier. Ils modulent différents aspects de la flexibilité corticale, c’est-à-dire la capacité d’adapter le comportement à la situation d’un environnement changeant. 5-HT3 Nous avons mentionné plus haut la localisation du récepteur 5-HT3 dans le système nerveux périphérique, en particulier dans les neurones entériques. Ils sont impliqués dans la régulation de la motilité intestinale et peuvent être impliqués dans le syndrome du côlon irritable souvent associé au TSPT. Toutefois, on en trouve aussi au niveau cérébral, dans le cortex et le tronc cérébral. Lorsque les 5-HT3 situés sur les neurones gabaergiques du CPF sont stimulés, ils vont inhiber en aval la synthèse et la sécrétion de G, ce qui aura un effet inhibiteur sur les neurones à Ach du noyau basal de Meynert, à NA du locus cœruleus (LC) et à D de l’aire tegmentale centrale (ATV), et sont en conséquence dépressogènes. Les neurones à Ach innervent toute la surface du cortex, en particulier le cortex cingulaire (CC), mais aussi l’hippocampe et l’amygdale. D’où l’intérêt d’utiliser des molécules antagonistes 5-HT3 en cas de dépression, comme la vortioxetine qui augmente la libération de G et en aval celle d’Ach qui a des effets positifs sur la cognition, la mémoire et l’apprentissage, pour améliorer la mémoire épisodique. Lorsque les 5-HT3 situés dans le tronc cérébral sont stimulés, ils peuvent induire nausées, vomissements et diarrhées. Ses antagonistes sont utilisés pour traiter les nausées et vomissements dans les chimiothérapies. Ainsi, lorsque des stimuli chimiques ne sont pas reconnus par le noyau du tractus solitaire (NTS), cette structure stimule le centre du vomissement situé dans l’aire postrema, en position ventrale par rapport au NTS. Lorsque stimulé par le NTS, il va déclencher une décharge vagale provoquant l’effet émétisant. La mirtazapine est fortement antagoniste 5-HT3, donc elle peut être prescrite pour inhiber les effets indésirables gastrointestinaux susceptibles de se manifester en raison des concentrations augmentées de S induites par l’inhibition du SERT par les ISRS/IRSN. Ce récepteur ne nous intéresse toutefois pas significativement dans le cadre physiopathologique et thérapeutique du TSPT. 5-HT7 Nous avons aussi déjà mentionné la localisation du récepteur 5-HT7 dans le système nerveux périphérique. Sur les neurones entériques, à l’instar des 5-HT3, ils activent la motilité intestinale par contraction de la musculature lisse pour faciliter l’avancée du bol intestinal. Son action digestive est toutefois moins marquée que celle dépendantes des 5-HT3. Au niveau des vaisseaux sanguins, les 5-HT7 agissent sur les cellules musculaires lisses pour les dilater les vaisseaux et faire ainsi baisser la pression artérielle. Le 5-HT7 a aussi une action au niveau de nombreuses structures cérébrales. Comme le 5-HT3, il est aussi dépressogène via la stimulation des neurones gabaergiques intermédiaires qui inhibent la synthèse et la sécrétion du G en aval et plus en aval encore celles des neurotransmetteurs Ach, NA, et D qui dépendent de l’activation glutaminergique. En inhibant le 5-HT7, on améliore donc la mémoire épisodique et on facilite un effet antidépresseur. Les molécules suivantes ont un effet antidépresseur et procognitif par leur antagonisme 5-HT7 : les antidépresseurs vortiotexine et trazodone, ainsi que les neuroleptiques quétiapine, lurasifone et aripiprazole. Toutefois, ce récepteur ne nous intéresse pas au premier chef dans le cadre physiopathologique et thérapeutique du TSPT. 5-HT4 Comme le 5-HT3 et le 5-HT7, le 5-HT4 se trouve aussi dans les neurones entériques. Dans l’intestin, le 5-HT4 active spécifiquement le péristaltisme. Un agoniste du 5-HT4, le pruclopride (ResolorR), est prescrit pour la constipation chronique. On en trouve aussi dans le cœur où il influence la fréquence et la contractilité cardiaques. Dans le cerveau on trouve des 5-HT4 à la fois en présynaptique et postsynaptique. En postsynaptique, leur stimulation génère en aval une stimulation des récepteurs Ach dans le cortex et l’hippocampe. La stimulation du CA1 de l’hippocampe par la S en provenance du NMR a un effet positif sur la mémoire à travers une amélioration de la plasticité cérébrale. Contrairement aux deux autres récepteurs précités, l’effet excitateur du 5-HT4 n’est pas médié par des récepteurs gabaergiques, ce qui explique que contrairement aux deux autres, il n’est pas dépressogène. Toutefois, il ne nous intéresse pas au 1er chef pour le TSPT car il est surtout intéressant pour prévention des démences, du parkinson, des troubles alimentaires et des symptômes digestifs. 5-HT6 Le 5-HT6 est situé sur les dendrites des neurones postsynaptiques pyramidaux corticaux. Il est excitateur. En stimulant les interneurones gabaergiques, il inhibe la synthèse et sécrétion de G en aval. Le 5-HT6 est aussi connu – comme le 5-HT4 – pour avoir un effet inhibiteur sur la synthèse et sécrétion de l’Ach. En le bloquant, on a un effet procognitif. La latrepirdine qui est aussi antihistaminique en plus d’inhibiteur 5-HT6 serait un médicament recommandable pour la maladie d’Alzheimer. Ce récepteur non plus ne nous intéresse pas significativement pour le TSPT qui nous occupe ici. 5-HT5 Le 5-HT5 est situé sur les dendrites des neurones postsynaptiques pyramidaux corticaux. Il est excitateur. Il promeut la neurogénèse au niveau du noyau denté de l’hippocampe (comme le fait aussi la stimulation 5-HT1A). A part cela, il est assez peu connu et ne semble pas jouer un rôle majeur dans le TSPT. 5-HT2C Les 5-HT2C sont exclusivement postsynaptiques et activateurs. En stimulant les interneurones GABAergiques, les 5-HT2C réduisent la transmission excitatrice du G, ce qui s'oppose ainsi à la fonction excitatrice des récepteurs 5-HT2A dans le cortex cingulaire antérieur (CCA). L'activation de 5-HT2C inhibe aussi la libération de D de l’ATV, pareillement via l'excitation des interneurones GABAergiques. Cela explique pourquoi les agonistes du 5-HT2C induisent des effets anxiogènes, dépressogènes, anti-dopaminergiques (aggravation de l'apathie et de l'anhédonie) et de renforcement de l’apprentissage de la peur. On a donc théoriquement intérêt à prescrire des ATD inhibiteurs du récepteur 5-HT2C (trazodone, fluoxétine, mirtazapine, miansérine), mais nous verrons plus loin quand ne pas le faire (au décours récent d’un TSPT) et quand le faire (lorsque la dépressivité secondaire au TSPT s’est durablement installée). Contrairement à plusieurs antidépresseurs et neuroleptiques (olanzapine quétiapine, aripiprazole), les psychédéliques stimulent le 5-HT2C, toutefois à des doses élevées, ce qui n’est pas la pratique dans le cadre de la Psychothérapie Augmentée par Psychédéliques (PAP). Nous allons voir que de petites doses de psychédéliques sont par contre suffisantes pour activer les 5-HT2A, le récepteur sérotoninergique qui va nous intéresser au premier chef dans le cadre de la PAP. Nous retiendrons qu’en cas d’utilisation de psychédéliques dans le cadre d’une PAP, et vu les faibles doses utilisées, l’impact de l’activation du 5-HT2C sera très faible en comparaison avec celui du 5-HT2A. Last but not least : 5-HT2A Le 5-HT2A est le principal récepteur sérotoninergique postsynaptique excitateur. Les 5-HT2A sont localisés sur les dendrites des neurones à G du CPF, en particulier du cortex cingulaire antérieur (CCA) comme principal hub du réseau de saillance (SN). Les neurones à G du CC vont stimuler en aval les neurones intermédiaires à GABA qui vont désactiver le réseau cortical du mode par défaut (DMN). En sous-cortical, la stimulation des 5-HT2A des neurones glutaminergiques du CC vont activer l’amygdale et l’hippocampe (pas de passage via des interneurones à GABA dans ce cas). En particulier, après une sélection des stimuli significatifs par le SN, l’activation de l’amygdale engage une association forte et durable entre les indices environnementaux et les événements stressants afin d’induire un mécanisme de coping adapté à la réduction des conséquences du danger en apprenant à l’éviter et d’assurer ainsi une émotion de peur adaptée : une action de « 1ère intention ». L’expérience du stress accroît l’expression des 5-HT2A qui rend les neurones glutamatergiques corticaux plus sensibles à la stimulation, ce qui entraîne une mobilisation accrue de l’amygdale en aval (action rapide et normalement de courte durée) qui va engager une réponse sympathique engagée par une sécrétion de NA par le locus coeruleus (LC). La modulation de l'expression et de la fonction des 5-HT2A ajuste le cerveau par des changements plastiques, ce qui va faciliter à l'avenir l'évitement du danger en créant des associations durables entre les indices environnementaux et les événements stressants (apprentissage associatif). Toutefois, cette compétence protectrice, peut parfois aussi se caricaturer et engendrer un TSPT avec transformation de la peur adaptée initialement en anxiété ultérieure par définition inadaptée. |
TSPT et agonisme 5-HT2A
Si la stimulation induite par le stress de l’expression et de la fonction des 5-HT2A sont un mécanisme d’apprentissage qui ajuste le cerveau en fonction du danger, et si – parfois – ce mécanisme provoque un surajustement pathologique des systèmes cérébraux lors de situations de danger, il serait logique de supposer que l’antagonisme des 5-HT2A atténuerait les symptômes du TSPT. Et pourtant, les agonistes 5-HT2A sont efficaces contre le TSPT, mais uniquement s’ils sont prescrits dans le cadre d’une PAP. Comment ? L’une des principales hypothèses est qu’ils augmentent l’activité de la partie cortico-frontale du réseau de saillance (SN)[4] en particulier le cortex insulaire antérieur (CIA), le rendant disponible à la perception des indices de sécurité apportés par la thérapie tout en visualisant en imagination – dans le cadre de celle-ci – les EPT à l’origine du TSPT. En cas de TSPT, il existe une suractivité aberrante du SN centrée sur les indices en lien avec les EPT à l’origine du TSPT. L’usage de psychédéliques, en dehors d’une thérapie d’exposition sécurisante, ne fera que renforcer la symptomatologie anxieuse. Comment se fait-il que le même récepteur contribue à la fois au conditionnement de la peur et à son extinction ? La facilitation des associations apprises persistantes entre les indices environnementaux et les situations stressantes peut être excessives et générer du TSPT. L’administration d’agonistes 5-HT2A diminue la saillance des signaux de danger uniquement dans un contexte offrant des signaux de sécurité, comme normalement mis en place dans le contexte psychothérapeutique. Un mécanisme plausible de l’efficacité de ces agonistes est qu’elle facilite l’apprentissage de la sécurité par l’environnement sécure permis par le cadre psychothérapeutique et, dans ce cas aussi, par une stimulation des 5-HT2A. La MDMA augmenterait l’efficacité d’une telle thérapie en facilitant des associations durables entre l’environnement actuel (le cadre thérapeutique) et les signaux de sécurité (la qualité du lien patient-thérapeute). La PAP pourrait signaler via les 5-HT2A et l’induction secondaire d’une plasticité qui facilitera dans ce contexte psychothérapeutique bienveillant un apprentissage associatif nouveau avec les signaux de sécurité apportés par la thérapie (par exemple dans le cadre de suggestions associées à la thérapie par hypnose/EMDR), ce qui permettra d’inverser les neuro-désadaptations aberrantes.
L’agoniste 5-HT2A le plus scientifiquement probant aujourd’hui, la MDMA, permet le retraitement des souvenirs traumatiques et facilite l’engagement émotionnel dans la thérapie. La MDMA apporte un second bénéfice en agissant aussi sur les récepteurs induisant la libération d’ocytocine, ce qui va favoriser l’empathie nécessaire au lien thérapeutique, ainsi que l’engagement du patient dans le processus thérapeutique (effet prosocial). La MDMA a également des effets sur d’autres récepteurs monoaminergiques et induit la libération d’hormones telles que le cortisol nécessaire pour assurer la rétroaction attendue sur le NPH, afin de mettre fin en temps et en heure à l’émotion de peur dès que le danger est écarté[5].
Lorsque le TSPT se complique à terme d’un trouble dépressif caractérisé (TDC/MDD), une hyperconnectivité au sein du réseau du mode par défaut (DMN)3 va générer une rumination anxieuse quasi permanente. Dans cette perspective, l'atténuation de la fonction du DMN (par la PAP mais aussi par l’hypnose et l’EMDR comme on le verra dans de prochains épisodes) engageant une certaine « dissolution de l'ego » qui aura un effet thérapeutique. En effet, les psychédéliques en stimulant les 5-HT2A dans les structures du DMN réduisent significativement sa connectivité interne et désactive le précunéus (AB07). Il en résulte une possible perte du sentiment d’agentivité ce qui ne permet plus de ressentir qu’on est bien l’auteur de nos actes en raison d’une diminution de la conscience de soi, mais ce qui va faciliter l’efficacité thérapeutique, en aidant le patient à sortir de sa rumination quasi permanente. En effet, les agonistes 5-HT2A en réduisant la connectivité intra-DMN, normalisent l’attention excessive portée aux états internes associés aux pensées négatives, assurant un soulagement émotionnel. Si, d’une part, sous l'effet des psychédéliques, le DMN présente une activité et une connectivité réduites au sein de ses composantes, et si d’autre part, ils augmentent celles avec les autres réseaux que sont le SN et celui du contrôle exécutif (ECN)3 qui se trouvent particulièrement inhibés en cas de TSPT, alors ils peuvent avoir un effet thérapeutique indéniable dans le cadre d’une PAP, en rendant le patient attentif à la relation thérapeutique (SN) et en le remettant en mouvement vers le changement (ECN).
Les psychédéliques augmentent la connectivité entre le DMN et le SN et entre le DMN et l’ECN, ainsi qu’entre le SN et l’ECN. La connectivité accrue entre le DMN et le SN, qui joue un rôle important dans l'identification et la pertinence des stimuli significatifs extéro- et intéroceptifs, contribue ainsi à une intégration plus fluide entre les expériences externes et internes, pour les équilibrer et potentialiser ainsi la flexibilité cognitive afin d’abandonner les priors par trop rigides. Il a été montré que le stress aigu affaiblit la connectivité entre la partie postérieure du DMN et le SN, ce qui témoignerait d’une incapacité à détourner l’attention des pensées introspectives et ruminatives. Les psychédéliques en augmentant la connexion DMN-SN soulagent cette introspection morbide. Ils augmentent aussi la connectivité entre le DMN antérieur et l’ECN facilitant ainsi le contrôle cognitif sur l’objet d’attention. Ces substances réduisent puissamment l’inhibition normale exercée par le DMN sur l’ECN, normalisant ainsi le schéma d’influence inhibitrice aberrante du DMN en cas de TSPT.
Par ailleurs, l’action agoniste des psychédéliques sur les récepteurs 5-HT2A des couches profondes de l'hippocampe va y stimuler la neurogenèse via une synthèse augmentée du facteur neurotrophique[6], ce qui permettra une augmentation du flux d'informations ascendantes de l'hippocampe vers le DMN (en particulier vers le cortex préfrontal ventromédian (CPFVM) et le cortex cingulaire postérieur dorsal (CCPd) via une atténuation du contrôle entorhinal de l'information vers l'hippocampe. Il en résultera une extinction durable tant du freezing que de l’hypervigilance.
Un phénomène épigénétique peut rendre inefficace l’utilisation thérapeutique des agonistes 5-HT2A et les psychédéliques en particulier. Le gène codant le 5-HT2A peut subir une variation épigénétique ce qui augmente automatiquement le risque de TSPT. Ce gène se trouve sur le chromosome 13. En cas de méthylation il y a diminution de l’expression de ce récepteur. Cette méthylation peut se développer dans l’enfance en raison d’une adversité précoce ou encore dans le cadre d’un trauma transgénérationnel4.
Les psychédéliques
Le terme « psychédélique » provient des mots grecs ψυχή (psyché, « âme, esprit ») et δηλοῦν (déloun, « manifester ») et signifie donc « ce qui révèle l’esprit ». Les psychédéliques classiques les plus utilisés sont le LSD (diéthylamide de l’acide lysergique synthétisé par Albert Hoffmann en 1943), la Mescaline, le DMT (le Diméthyltriptamine est une composante de l’ayahuasca) et la Psilocybine. Ces psychédéliques classiques – appelés ainsi en raison de leur effet hallucinogène – sont identifiés comme sérotoninergiques pour leur effet antagoniste SERT et agoniste au niveau des 5-HT2A. La MDMA (3,4-méthylène-dioxy-méthamphétamine synthétisé la première fois en 1912 par la compagnie Merck) est un psychédélique « atypique » connu comme ecstasy. « Atypique » car globalement non hallucinogène contrairement aux autres psychédéliques. Il est le psychédélique le plus recommandé en association à la psychothérapie pour la prise en charge du TSPT.
La MDMA est un inhibiteur de recapture des monoamines S, D et NA (via l’inhibition des récepteurs de recapture SERT, DAT et NET), ainsi que pareillement inhibiteur du transporteur vésiculaire de monoamines (Vmat) dont l’effet est d’inhiber l'accumulation de S une fois recapturé par le SERT, ce qui stimule sa libération au niveau synaptique. La plus grande disponibilité de ces trois neurotransmetteurs soulage les symptômes du TSPT, assurant une meilleure régulation émotionnelle, moins d’évitement, une extinction de la peur apprise, une extinction du freezing si présent, une diminution de l’hypervigilance et une mémorisation de la sécurité apportée par la psychothérapie. Puisque l'affinité de la MDMA est 10 fois plus élevée pour le SERT que ne le sont les autres ISRS/IRSN, son principal effet consiste en une amélioration puissante du tonus sérotoninergique. La MDMA a une action agoniste majeure sur 5-HT2A (c’est son principal intérêt), mais aussi plus modestement sur 5-HT2C, comme nous l’avons mentionné dans l’encadré sur la sérotonine et ses récepteurs. Comme agonistes 5-HT2A, les psychédéliques induisent des changements perceptuels et cognitifs qui facilitent une introspection profonde. Ils permettent de réouvrir la période critique de l’apprentissage lié à l’expérience traumatique. En particulier, ils vont permettre de réinitier des processus de désactivation de certaines connexions excessives dans le DMN qui sous-tendent la pensée dépressive et ruminatoire, permettant aux patients de profiter de la PAP. Les séances de thérapie sous MDMA (1 ou 2) s’effectuent sous 125 mg de MDMA (ou 1,75 mg/kg) et éventuellement 62,5 mg, deux heures après la 1ère dose. Comme les neuroleptiques et les ISRS/IRSN bloquent le 5-HT2A , il faut donc en sevrer les patients avant d’initier une PAP. Sont très antagonistes 5-HT2A les neuroleptiques suivants : l’haldol et les pines (clozapine, quétiapine, olanzapine), les dones (rispéridone) un peu moins. Une exception, l’aripiprazole n’est pas concerné car son effet anti 5-HT2A est très limité. Il faut aussi mettre en pause les benzodiazépines (BDZ), les ISRS et les IRSN une semaine avant, en particulier la mirtazapine et le trazodone très antagonistes 5-HT2A. La fluoxétine doit être arrêtée 14 jours avant en raison de son effet prolongé. Par ailleurs, comme tant les ISRS/IRSN que les psychédéliques bloquent le SERT, il vaut aussi mieux ne pas les associer pour ne pas risquer un syndrome sérotoninergique.
Les médicaments antagonistes 5-HT2A ne sont donc pas à prescrire lorsqu’un TSPT n’est pas encore associé à un état dépressif significatif[7]. En effet, il peut en résulter la tendance à répéter les mêmes choix comportementaux inadéquats, significatifs d’une moindre flexibilité cognitive. La stimulation du 5-HT2A en améliorant la flexibilité cognitive va favoriser l’extinction de la peur, dans un contexte de sécurité maximale assurée par une psychothérapie fondée sur un lien thérapeutique significatif. Un traitement par ISRS/IRSN, tous connus comme inhibiteurs 5-HT2A, est une mauvaise idée au décours strict d’un EPT ou d’un TSPT naissant, car il faciliterait la réceptibilité à la peur et son conditionnement. Par ailleurs, lorsqu’on introduit un ISRS/IRSN, il y a d’abord inhibition du SERT dans l’espace somato-dendritique, ce qui concentre la S à ce niveau car mobilise dans un 1er temps le 5-HT1A pour inhiber la production de S par les neurones des noyaux du raphé (NR) et ainsi faciliter l’acquisition de la peur. Ce 1er temps explique l’apparition retardée d’un effet positif des ISRS/IRSN, attribuable au temps nécessaire pour la désensibilisation du 5-HT1A présynaptique. On retiendra à ce stade qu’on ne traite pas la peur possiblement génératrice d’un TSPT en prévention primaire, ni par un débriefing psychologique[8], ni pas une prescription intempestive d’un ISRS/IRSN, afin de ne pas risquer de courcircuiter l’action de résilience facilitée par l’action des 5-HT2A. Par contre, cette prescription d’un ISRS/IRSN a toute sa place pour son effet antidépresseur et anxiolytique dans le cadre d’un TSPT installé dans la vie du patient s’il n’a pas pu être évité et dépassé et surtout s’il est associé à de la dépression, dans le cadre alors d’une prévention secondaire. L’apprentissage de la peur conditionnelle comprend 5 étapes : 1) l'acquisition de la peur en réponse à un signal lié à un contexte, 2) l'expression de la peur suite à son l'acquisition, 3) sa consolidation, 4) l'apprentissage de l’extinction de la peur liée à un signal et de l’anxiété liée à un contexte, et 5) l'expression adéquate de la peur après l'extinction (lorsque le danger est réel). Les patients atteints de TSPT montrent une acquisition de la peur augmentée (étape 1) et une capacité réduite à éteindre l’anxiété apprise (étape 4). Il est important de noter qu’éteindre l’anxiété apprise ne correspond pas à un désapprentissage de la mémoire traumatique, mais à un nouvel apprentissage, celui de la sécurité. En prévention secondaire du TSPT, l’efficacité des ISRS/IRSN peut agir à deux étapes, sur l'expression de la peur post-apprentissage liée à un contexte mais non pas celle liée à un indice (étape 2) et sur son extinction (étape 4), mais aucunement au niveau de l’étape 1 de l'acquisition de la peur (qui est utile en cas de signal de réel danger). L'apprentissage de la peur qui se mue en anxiété – lorsque le contexte est identifié au signal – est le processus central du développement du TSPT.
Mécanisme d’action thérapeutique des psychédéliques
Quel lien faisons-nous sur l’utilité de l’action agoniste des psychédéliques sur les récepteurs 5-HT2A avec notre conception bayésienne du TSPT[9]? Le modèle REBUS (relaxed beliefs under psychedelics / croyances relâchées sous psychédéliques) est fondé sur le principe que les psychédéliques agissent pour relâcher la précision des priors, libérant ainsi le flux d'informations bottom-up. En stimulant les 5-HT2A des cellules pyramidales de la couche corticale profonde du CPF, du thalamus, de l’hippocampe, les psychédéliques allègent la précision des prédictions descendantes – des priors / des biais cognitifs – de la couche n°5 pour les pondérer, ce qui va permettre leur révision après un transfert à la couche n°2 pour les confronter aux sensations montantes, ensuite un transfert à la couche n°3 pour leur mise à jour[10]. En retour, la précision relative des erreurs de prédiction ascendantes augmente, ce qui entraîne une plus grande influence de l'entrée sensorielle ascendante (du thalamus vers la couche n°2). En relâchant la précision des priors, les psychédéliques réduisent le contrôle top-down et entraîne ainsi une influence accrue des erreurs de prédiction, ce qui permet les mises à jour des priors. Les priors ont une précision / un poids / une influence excessive dans de nombreux troubles psychiatriques et tout particulièrement le TSPT. La création de croyances a pourtant eu initialement une fonction défensive, d'adaptation, lors du contact initial avec une source majeure de danger. Une conséquence du relâchement des priors sous l'effet agoniste 5-HT2A des psychédéliques est que les erreurs de prédiction peuvent trouver un registre plus libre dans l'expérience consciente. L’agonisme 5-HT2A tend à augmenter l’intensité globale de la conscience phénoménale (par exemple, en ce qui concerne la vivacité de l'expérience / le « flow »). Les prédictions descendantes doivent s'adapter à l'entrée sensorielle ascendante de la manière la plus efficace possible et donc minimiser l'erreur de prédiction générée par une entrée sensorielle non adaptée au prior auquel cette entrée se confronte. Ceci peut expliquer beaucoup de phénomènes subjectifs associés à l'expérience psychédélique : une suggestibilité accrue, une sensibilité majorée au contexte, une prise de conscience plus nette, une régression en âge facilitée en hypnose, une perception altérée du temps, etc. Sous l'influence des psychédéliques, le cerveau entre dans un état qui présente un allègement / relaxation de la pondération de précision des priors, ce qui permet une révision potentiellement durable de ceux-ci. Statistiquement, la précision des priors est équivalente à l'inverse de leur variance, et, subjectivement et intuitivement, cette précision peut être considérée comme proportionnelle à la confiance ressentie, c'est-à-dire que plus les données sont proches d'un modèle donné, plus nos erreurs de prédiction seront faibles et donc, plus notre confiance ressentie dans notre modèle sera forte. L'action la plus remarquable des psychédéliques est leur capacité de modifier durablement la vision du monde (les priors), de "lubrifier" la cognition. Compte tenu de notre connaissance des effets biologiques des psychédéliques, un modèle global peut être présenté dans lequel les psychédéliques : (1) stimulent les 5-HT2A, (2) dépolarisent les neurones pyramidaux des couches profondes, (3) désynchronisent l'activité corticale, (4) augmentent le répertoire des motifs de connectivité au sein du réseau limbique, ce qui va dérigidifier les priors. Cette « relaxation » des priors améliore la sensibilité au contexte par une meilleure réceptivité aux informations ascendantes, en particulier provenant de sources intéroceptives. Ainsi, si le processus de relâchement des priors est combiné avec un bon soutien contextuel, les croyances pathologiques sous-jacentes aux maladies psychiatriques peuvent être révisées pendant et après une expérience de PAP. En résumé, REBUS affaiblit les prédictions et renforce les erreurs de prédictions. Dans le traitement assisté par psychédéliques, l'intervention pharmacologique et l'intervention psychothérapeutique fonctionnent main dans la main. Par conséquent, les prédictions rigides et dysfonctionnelles, que l'on croit être au cœur des troubles mentaux, deviennent révisables. En gros, la psychothérapie déploie ses effets curatifs en établissant une relation sécurisante, en induisant des attentes curatives et en mettant en œuvre des ingrédients spécifiques propres aux différentes approches. Les signaux de sécurité et de contrôlabilité provenant de la qualité du lien thérapeutique et de l'environnement thérapeutique en général seront ainsi intégrés dans le modèle génératif du patient.
Action des structures et réseaux cérébraux sous psychédéliques
La stimulation des récepteurs 5-HT2A dans plusieurs structures corticales et sous-corticales auront comme effet d’une part d’accroître l’impact des inputs intéro- et extéroceptifs comme le sont aussi les suggestions thérapeutiques et d’autre part d’affaiblir les priors. Nous développons les rôles spécifiques joués par ces structures.
Nous avons présenté le thalamus comme la station de transit de l’information afférente montante – bottom-up – des informations sensorielles extéro- et intéroceptives afin de les filtrer avant leur transfert aux colliculus, à l’amygdale et au cortex[11]. Le thalamus reçoit aussi des afférences corticales – top-down – exerçant un contrôle sur ses capacités de filtration. La stimulation sérotoninergique des 5-HT2A renforcée par les psychédéliques augmente davantage encore la connectivité ascendante du thalamus vers le cortex cingulaire postérieur (CCP=AB29, AB30 & AB31) et une diminution de la connectivité descendante du CCP vers le thalamus (verrouillage thalamique). Il y a ainsi augmentation de l’impact de la sensation – de l’information – montante et une diminution de celui du prior descendant. Ce verrouillage thalamique est contrôlé par des voies cortico-thalamiques glutamatergiques et modulé par des projections sérotoninergiques sur les récepteurs 5-HT2A des interneurones cortico-thalamiques à GABA, d’autant plus fortes dans le cadre d’une PAP. L'hypothèse du verrouillage thalamique suggère que les psychédéliques augmentent la réception des erreurs de prédiction ascendantes. Il y a ainsi prédominance des effets ascendants sur le cortex sous l'effet des psychédéliques. Cela est cohérent avec une relaxation de la précision descendante.
Dans le cadre d’une PAP, dont l’ensemble du contexte thérapeutique apporte des sensations – ascendantes – de sécurité, avec en raison de l’hypermobilisation des 5-HT2A générée par les psychédéliques, un déséquilibre favorable à la sensation – bottom-up – de sécurité au détriment du prior – top-down – anxieux. Il en résulte une réponse diminuée de l’amygdale, voire sa désactivation (des investigations ont montré une réduction du flux sanguin cérébral dans l’amygdale corrélant avec une réduction des symptômes anxieux et dépressifs sous psychédéliques). La connectivité descendante qui exerce normalement une influence inhibitrice sur les projections ascendantes par renforcement du triage thalamique est fortement inhibée sous psychédéliques, ce qui peut favoriser la sécurité au détriment de la menace.
A cette ouverture privilégiée aux inputs ascendants, un autre effet des psychédéliques – en l’espèce ici aussi via une surstimulation des 5-HT2A – va favoriser une désaffectation des priors. Trois régions du lobe temporal moyen (LTM) sont associées à l'émotion et à la mémoire : l’amygdale que nous venons de mentionner (rôle dans l’activation et la reconnaissance des émotions), le gyrus parahippocampique (rôle dans la récupération de la mémoire, la mémoire épisodique, le traitement contextuel, la détection de la familiarité et la représentation spatiale) et l’hippocampe (rôle dans l’apprentissage et la consolidation de la mémoire). Ces structures du LMT sont connectées aux structures corticales moyennes que sont le CPFVM (AB25), le CCPd (AB31) et le CCPrs (AB29 & AB30 / rs pour rétrosplénique). Comme au niveau du thalamus, la stimulation des 5-HT2A dans le LTM suite à la prise de psychédéliques va réduire la connectivité entre les structures du LTM et les structures corticales moyennes, augmentant ainsi la probabilité d’expérimenter une dissolution de l'ego, des états de rêve, un sentiment de dépersonnalisation et une perte du sentiment de familiarité (y compris par rapport au temps et à l’espace), en raison de la prédominance d’une influence des projections ascendantes sur celles descendantes. Ces structures corticales moyennes appartiennent au DMN. La fonction de ce réseau est d’orienter les processus mentaux vers l'intérieur, de promouvoir un sens narratif du soi garant d’une identité personnelle. Toutefois, en cas de prévalence d’une humeur anxieuse et dépressive, la rumination qui lui est associée s’explique par une connectivité interne par trop renforcée du DMN, empêchant l’individu de s’ouvrir à l’extérieur, de s’ouvrir aux sensations ascendantes pourvoyeuses d’informations nouvelles et de pouvoir se mobiliser vers un but. Le DMN atténue ainsi l'énergie libre (l’information nouvelle non totalement prédite par un prior) en contrôlant la sélection des canaux d'information et en défendant la primauté de ses hypothèses a priori. Les structures du DMN sont riches en récepteurs 5-HT2A et les psychédéliques en les stimulants vont diminuer la connectivité interne au DMN (via la stimulation d’interneurones à GABA). Cette diminution de connectivité explique la dissolution du moi expérimentée sous psychédéliques, ainsi qu’une désintégration significative des priors liés à l’identité personnelle en vigueur jusque-là. Les priors liés au soi conservés dans le DMN sont là pour contrôler l'inhibition descendante des erreurs de prédiction ascendantes. Si les mécanismes inhibiteurs descendants sont inhibés par les psychédéliques, alors les régions du DMN peuvent devenir plus réceptives aux influences ascendantes qui permettent la révision et la mise à jour des priors. Les psychédéliques permettent de cultiver une concentration psychique plus centrée sur le présent et moins sur le passé, afin de se détacher des croyances maladaptatives secondaires aux confrontations passées avec des événements à potentiel traumatique (EPT).
Toutefois, pour que la connectivité interne au DMN puisse significativement diminuer et engager les effets précités, un autre réseau, celui du SN, doit être mobilisé. Celui-ci joue un rôle-clé dans la capacité d’éprouver des sensations et des émotions, de les évaluer (valence émotionnelle), d’en produire des représentations et éventuellement d’en prendre conscience pour la prise de décision. Il détecte et évalue les événements saillants, surveille les caractéristiques environnementales pertinentes pour le comportement dirigé vers un but et agit comme mécanisme de commutation, coordonnant l'attention entre les stimuli internes et externes. Il joue également un rôle-clef dans la médiation du passage entre l'activité du DMN et celle de l’ECN, un processus qui est altéré dans de nombreuses psychopathologies. Dans sa partie antérieure, le SN comprend les structures du CIA (AB13)[12] et du CCAd (AB24’). Le CIA reçoit les informations sensorielles extéro- et intéroceptives et le CCAd détecte les erreurs – c’est-à-dire les écarts entre les résultats attendus (priors) et obtenus (input) afin de sélectionner en conséquence les réponses comportementales. La partie dorsale du CCA (CCAd=AB24’) est la seule partie du CCA qui fait partie du SN et qui se trouve activée lors du redirigement de l’attention depuis le DMN vers l’ECN, facilitant ainsi le contrôle cognitif sur l'objet d’attention au détriment de l’introspection ruminatoire. Sous psychédéliques, on observe une connexion augmentée entre le CCAd du SN et le CCPd du DMN avec un impact favorable à l’autocompassion, assurant une coordination renforcée entre la sphère émotionnelle et cognitive. Cette connectivité augmentée est fortement corrélée à des augmentations de la flexibilité cognitive et à une meilleure mise à jour des priors nécessaire à l’amélioration de l’humeur. A contrario, en cas de TSPT, il y a hypoactivation du CCAd associée à une suractivation du CPFVM qui surconnecte alors avec l'amygdale en réponse à des stimuli négatifs. Les altérations induites par les psychédéliques de l'agentivité de soi, de la perception du temps et du raisonnement en situation d'incertitude indiquent un rôle possible du SN dans la conscience des expériences psychédéliques. Si le DMN est responsable de l'errance de l'esprit, la conscience de cette errance de l'esprit peut être régulée par le SN. Il y a une dominance hiérarchique du SN sur le DMN, encore renforcée sous psychédéliques qui facilite alors la régulation affective et une concentration plus centrée sur le présent.
La suractivation des récepteurs 5-HT2A dans le SN par des agonistes comme le sont les psychédéliques induit des changements profonds dans la connectivité des réseaux cérébraux, ce qui diminue la sensibilité aux erreurs de prédiction et permettre ainsi la révision des priors mal adaptatifs par un nouvel apprentissage dépendant d'une nouvelle expérience (idéalement sécure et thérapeutique). La flexibilité cognitive induite améliorera durablement l’humeur. Cette flexibilité cognitive va ainsi démanteler des connexions neuronales préexistantes et favoriser la formation de nouvelles, potentiellement bénéfiques pour l’extinction de la peur. L'administration de psychédéliques diminuent fortement l'inhibition normale que le DMN exerce sur l’ECN, ce qui permet l’ouverture au monde extérieur, toutes sensations confondues. L’ECN est le réseau de contrôle de l'attention et de la prise de décision quant à la tâche à effectuer en réponse aux sensations perçues.
Si l’update des priors ne devait pas s’effectuer, si donc le traitement devait échouer, alors le CCAd continuerait à diffuser des messages d’incertitude concernant la stratégie à adopter face aux sensations ressenties. Des afférences continueraient à circuler du CCAd vers l’amygdale, la PAG et le LC, les trois principaux acteurs au front de la réponse au stress. Dans cette circonstance, le complexe CCAd-amygdale maintiendrait l’hypervigilance avec les conséquences pathologiques attribuables à la charge allostatique engagée, génératrice de fatigue psychique, pour laquelle de l’énergie nécessaire devra être générée via la mobilisation accrue du SNS et du noyau paraventriculaire de l’hypothalamus (NPV) pour engager l’axe hypothalamo-hypophysaire-surrénalien (axe HHS). Lorsqu’on n’est pas certain de son bien-être futur on active le CCAd et l’amygdale. Les dégâts peuvent être particulièrement évidents (atteinte de la plasticité structurale et fonctionnelle / synaptique) au niveau de l’hippocampe, contribuant au renforcement du TSPT. La suractivité chronique du SNS et de l’axe HHS peut entraîner des modifications comportementales nuisibles pour la santé (alcool, toxicomanie, insomnie, HTA). Ces deux éléments vont entraîner un métabolisme mitochondrial moins efficace avec en conséquence de l’inflammation et du vieillissement cellulaire.
Pour conclure, je voudrais vous partager la métaphore du skieur qui illustre comment les psychédéliques (notamment leur effet sur la "précision" des croyances antérieures) influencent notre façon de penser et d'interagir avec le monde. Cette métaphore ici retravaillée est extraite de l’article Neural Mechanisms and Psychology of Psychedelic Ego, écrit par Devon Stoliker, Gary F. Egan, Karl J. Friston et Adeel Razi (Pharmacol Rev 74:876–917, 2022).
Un skieur dévale une pente fraîchement enneigée. Les traces ou mieux dit les ornières précédemment empruntées (comparables aux croyances rigidifiées) sont recouvertes par une couche de neige fraîche (comparable à l’action « lissante » des psychédéliques sur la précision des priors), ce qui aplanit le terrain et permet d’explorer de nouvelles directions, sans résistance préalable. En résumé, les psychédéliques peuvent simplement aplanir les ornières mentales et empêcher que la mise à jour des croyances ne s’enlise. Dans cette métaphore, les ornières laissées par un skieur sur la neige représentent les "croyances antérieures" anxiogènes. Ces ornières sont des chemins déjà tracés, souvent rigides et répétitifs, sur lesquels on a tendance à revenir parce qu'ils sont familiers et confortables. En d’autres termes, ces ornières symbolisent nos pensées habituelles et nos schémas de croyance fixes, qui se reforment chaque fois que nous prenons le même chemin mental. La neige fraîche qui recouvre ces ornières représente l’effet des psychédéliques sur ces croyances bien ancrées. Les psychédéliques agissent sur nos croyances en "aplanissant" les chemins mentaux préexistants. Cela permet de casser la rigidité des croyances et d'introduire de la flexibilité dans la manière dont on pense et perçoit le monde. Cela ne veut pas dire qu’on oublie nos croyances, mais plutôt que la rigidité de ces croyances est temporairement atténuée, permettant l’émergence de nouvelles façons de penser. Le skieur qui descend la pente sur la neige fraîche représente l'individu qui explore de nouvelles voies de pensée. L’absence d'ornières bien définies (puisqu'elles sont recouvertes par la neige) permet au skieur de se déplacer dans des directions imprévues et nouvelles. De la même manière, sous l'effet des psychédéliques, on peut expérimenter des nouvelles perspectives de pensée, plus flexibles et moins ancrées dans des schémas rigides. Le skieur peut changer de direction plus facilement, tout comme l'esprit peut naviguer entre différentes idées, perceptions et compréhensions du monde. Le sentiment de dissolution de l'ego pourrait être comparé à l’idée que, sous l’effet des psychédéliques, on cesse de s’accrocher à ces anciennes "pistes", à ce schéma rigide de pensée. L'esprit devient plus malléable, comme un skieur capable de descendre n'importe où sur la pente, plutôt que de se cantonner à des itinéraires connus.
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Ce plaidoyer a été construit sur base de la lecture de nombreux articles peer review Medline publiés entre 2010 et 2025. Je n’en mentionnerai que deux :
Serotonin 2A receptors are a stress response system : implications for PTSD. Kevin Sean Morane (Atlanta) in Behav. Pharmacolog, 2019 Apr, 30.
Antidepressant and anxiolytic effects of activating 5-HT2A receptors in the anterior cingular cortex and the theoretical mechanisms underlying them – A scoping review of available literature. Leonor Miranda in Brain Res, 2025 Jan, 1.
Notes :
[1] Nous présenterons l’apport de Claude Shannon aux réflexions des Conférences de Macy dans le prochain épisode de la série Le cerveau bayésien. C’est à Shannon que Friston doit le rapprochement conceptuel entre énergie et information.
[2] Voir l’épisode n°11 Du Vague à l’âme.
[3] Autre manière de définir la surprise par Jérôme Seymour Bruner (On Knowing: Essays for the Left Hand, 1962) : « La surprise est une réaction émotionnelle à un présupposé contrarié (= priors) ».
[6] Le facteur neurotrophique le mieux identifié est le BDNF (Brain-derived neurotrophic factor). C’est une protéine présentant quatre fonctions de : 1) synaptogenèse, 2) neuroplasticité, 3) neurogenèse (très nette dans l’hippocampe) et 4) survie cellulaire (décale l’apoptose – la mort cellulaire – dans le temps).
[7] Excepté si la dépressivité précédait l’occurrence de l’EPT et aurait ainsi facilité le développement d’un TSPT.
[8] Le débriefing psychologique est une intervention précoce, au décours immédiat d’un EPT, en général expérimenté collectivement, visant à prévenir un TSPT. Plusieurs métaanalyses Cochrane ont été publiées dès 2002 démontrant dans un premier temps l’inefficacité de cette technique interventionnelle pour prévenir le TSPT et plus récemment son risque d’augmenter l’occurrence du TSPT. Une explication plausible serait que le débriefing exercé par une autorité médicale, en général un(e) psychologue, représente une réexposition imaginaire intense à l’EPT – un « traumatisme secondaire » – sans avoir donné le temps nécessaire à l’habituation pour donner sa chance à la résilience.
Psychological debriefing for preventing post-traumatic stress disorder (PTSD), Rose S, Bisson J, Churchill R, Wessely S. Cochrane Database Syst Rev. 2002.
Multiple session early psychological interventions for the prevention of PTSD, Roberts N, et al. Cochrane Database Syst Rev. 2009.
Debriefing interventions for the prevention of psychological trauma in women following childbirth. Bastos M et al. Cochrane Database Syst Rev. 2015.
Randomised controlled trial of psychological debriefing for victims of acute burn trauma. Bisson J et al. Cambridge University Press, 03 January 2018.
[12] Nous avions déjà mentionné dans la série Du Vague à l’âme que la classification de Brodmann ne s’applique pas bien au cortex cingulaire (CI). Si on peut parfois lire dans des publications que le CI comprend AB13 (couvrant les parties antérieure et moyenne du CI), AB14, AB15 et AB16, toutefois, seule AB13 fait consensus pour identifier le CI chez homo sapiens. AB14 et AB16 sont aussi parfois mentionnées mais sont toutefois plus clairement identifiables chez les primates non humains. AB15 n’est identifiable que chez certains primates. Nous retiendrons comme différenciation des zones du CI, ses parties antérieure (CIA), moyenne (CIM) et postérieure (CIP).

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