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Dr Jean-Pierre Papart

Les troubles du spectre traumatique (Episode n°7)

Les troubles du spectre traumatique – physiopathologie – 4ème partie




Trois réseaux cérébraux sont fortement affectés dans le TSPT : le réseau de saillance / salience network (SN), le réseau du mode par défaut / defaut mode network (DMN) et le réseau de contrôle exécutif / executive central network (ECN)[1].


Le SN[2] comme le ECN sont les deux réseaux du contrôle exécutif, donc activés aux cours des tâches. La fonction essentielle du SN, mobilisé en première intention, est de sélectionner parmi tous les stimuli externes et internes qui nous parviennent ceux qui méritent notre attention (rôle du CIA), ceux qui sont pertinents pour réaliser une action, ainsi que pour les mettre en mémoire de travail (rôle du CCAd). Il est donc particulièrement activé en cas de stress. Le SN est un réseau en boucle qui part du cortex intéroceptif, en particulier du cortex insulaire antérieur (CIA=AB14) pour identifier un stimulus saillant et du cortex cingulaire antérieur dorsal (CCAd=AB24’) pour à la fois faciliter une certaine « compréhension »[3] de l’événement (via la JTPd[4]), inhiber les comportements réflexes inadaptés, identifier le comportement approprié (via le CPLId[5]) et « shifter » alors vers ce comportement approprié (via le PCUN[6]). Ces compétences du SN assurent les capacités d’organisation, de décision et d’identification des solutions pour tenter de rétablir l’homéostasie. Les stimuli extéroceptifs mobilisent le cortex sensoriel (CS), qui en « informe » le CIA, qui en « informe » en retour le CS des stimuli intéroceptifs (Figure n°1).


Figure n°1 : Réseau de saillance – connexions et fonctions


Du cortex, le SN poursuit sa route vers le striatum en particulier les structures de l’amygdale et l’hippocampe, ensuite la PAG, puis le noyau médial du thalamus (MD) et le putamen pour revenir en boucle au cortex intéroceptif (voir Du Vague à l’âme, épisode n°9 et le prochain épisode de l’actuelle série).

 

En cas de TSPT, le SN est démesurément activé et hyperconnecté, mais de façon inadéquate. Cette hyperactivité du SN sera d’autant plus nette que les décharges de noradrénaline (NA) en provenance du locus coeruleus (LC) est forte. La détection de toute menace potentielle devient caricaturale. L’hyperactivité du CIA explique les symptômes d’hypervigilance (critère E3 du DSM-5) et d’évitement (critères C1 et C2). Le SN perd son rôle de modulation parce qu’il ne parvient plus à jouer son rôle d’arbitrage entre les réseaux ECN et DMN. Le noyau médial du thalamus (MD) n’est alors plus en mesure d’activer adéquatement le cortex intéroceptif et d’inhiber directement et indirectement l’amygdale (via le CCAd).

 

En cas de comorbidité associant TSPT et trouble dépressif caractérisé (TDC) impliquant la présence de symptômes supplémentaires caractéristiques du TDC (critères D3, D5, E5 et E6 du DSM-5), on constate dans cette situation spécifique – au contraire de celle d’un TSPT sans comorbidité TDC – une désactivation et déconnexion du SN.



Le mode par défaut


Le concept de DMN a été proposé par Raichle et al. (2001). Sa fonction fondamentale est d’assurer les processus autoréférentiels permettant le « sentiment de soi » à l’état de repos, c’est-à-dire en absence d’exécution de tâches exigeant une attention particulière. Les structures qui le constituent sont comme une crète iroquoise qui part d’au-dessus des yeux et court vers l’arrière du crâne le long d’une ligne médiane pour connecter les structures suivantes : le cortex préfrontal ventromédian (CPFVM=AB25)[7], le cortex cingulaire postérieur dorsal (CCPd = AB31), le cortex rétrosplénique[8] (AB29 et AB30), le précunéus (PCUN=AB07), l’angulaire du cortex pariétal inférieur (ANG=AB39) et l’hippocampe postérieur (Figure n°2).


Figure n°2 : Réseau du mode par défaut – connexions et fonctions

 

Le DMN est à l’origine de notre sentiment d’identité. Cette compétence est permise par la connexion entre le CPFVM, le CCPd et le cortex rétrosplénique. Le CPFVM évalue la pertinence de l’information intéroceptive qui lui parvient, particulièrement celle en lien avec nos états émotionnels. Cette information intéroceptive est alors transmise au CCPd qui nous donne la sensation physique hic et nunc de l’endroit où nous sommes. Le cortex rétrosplénique s’active quand nous sommes centrés sur nous-mêmes, que nous nous remémorons des souvenirs nous mettant en scène à la première personne dans un lieu particulier (rôle dévolu au cortex granulaire rétrosplénial = AB29) nous permettant de relier passé et présent ou sinon quand nous songeons à notre futur (rôle dévolu au cortex agranulaire rétrolymbique = AB30). Le PCUN apporte sa pierre à l’édifice auto-identitaire en activant une représentation spatialisée du corps en mouvement (agentivité physique) pour s’assurer que l’on est bien l’auteur de nos actes. L’ANG appartient à l’aire de Wernicke et apporte une dimension de créativité dans la représentation.

 

Le DMN s’active (toutes les 20 secondes environ) lorsque nous décentrons notre attention de l’extérieur ou de la tâche dans laquelle nous sommes engagés, lorsque notre esprit vagabonde pour stimuler la conscience de nous-mêmes et produire notre autofiction. Il se désactive dans toutes les tâches impliquant un effort cognitif. Il y a donc un shift entre l’activation du DMN et celle de l’ECN, ceci sous le contrôle du SN. Si du contrôle exécutif  est exigé en raison d’un phénomène nouveau, éventuellement surprenant (nécessité de réalisation d’une tâche, bruit inattendu, intrusion d’une pensée traumatique) alors l’ECN se mobilise et le DMN se démobilise.

 

En cas de stress, lorsqu’une menace est perçue ou anticipée et qu’une réaction instantanée se développe, le DMN se met en mode off suite à l’activation du réseau de saillance (SN). C’est la réaction d’alarme et d’évaluation de la situation (rôle initial des récepteurs MR à action non-génomique donc rapide) avec le développement de l’action sympathique suivie de l’action neuroendocrinienne (NA et cortisol) qui assurent le comportement de coping approprié. Si les choses se passent bien, alors le réseau de contrôle exécutif (ECN) prend le contrôle pour éteindre la réaction de stress et assurer le retour à l’homéostasie. L’efficacité de la réaction adaptative sera mémorisée (rôle en fin de phase des récepteurs GR à action génomique donc lente). Dans le cas contraire, le ECN se voit dépassé et ses structures propres deviennent dysfonctionnelles et peuvent s’atrophier à plus long terme.

 

En cas de TSPT et  en raison d’une hyperactivité et d’une hyper-connectivité du SN, il existe un découplage / une déconnexion entre les structures antérieures (CPFVM et CCPd) et les structures postérieures (CPPrs, CPPrl, PCUN et ANG) du DMN, ce qui va empêcher les structures antérieures d’interpréter correctement les stimulus mémoriels reçus et enrichis par les structures postérieures (« c’est du présent ou du passé ? »). Le DMN n’est alors plus en mesure d’apaiser l’amygdale si même les informations qui lui parviennent du cerveau intéroceptif étaient rassurantes. En cas de TSPT, Il y a aussi déconnexion entre le CPFVM et l’hippocampe postérieur (HPost)[9] ainsi qu’entre le CCP et l’HPost. Il existe une corrélation forte entre l’importance de l’inactivité des connexions du DMN et l’importance des symptômes d’intrusion (critères B1, B2 et B3 dans le DSM-5). Et c’est aussi au dysfonctionnement du DMN en cas de TSPT que l’on peut attribuer les symptômes en lien avec les critères D2 (croyances négatives) [10] et D4 (émotions négatives persistantes – honte / culpabilité). En cas de TSPT-TD (cfr. Les troubles du spectre traumatique, Episode n°6), les dysfonctionnements du DMN auront comme conséquences une fonction autoréférentielle peu pertinente avec des ruminations (pensées négatives autoréférentielles) et d’importantes altérations de la mémoire autobiographique. Dans ce cas, dans la partie antérieure du DMN, le CPFVM s’active beaucoup moins et beaucoup plus difficilement. Il reste "silencieux" à l’IRMf lorsque pourtant le DMN devrait être fonctionnel, lorsqu’on « ne fait rien ». Dans ces conditions, le CPFVM n’est plus en mesure d’éteindre une hyperémotivité anxieuse malgré l’absence de danger actuel donc réel. Le PCUN n’étant plus contrôlé par le CPFVM va déverser dans la mémoire de travail les mémoires traumatiques qu’il conserve. L’absence ou la trop faible activité du CPFVM du DMN ne lui permet met plus d’accéder à l’information intéroceptive et donc de l’évaluer à sa juste valeur. Dans la partie antérieure du DMN, seul le CCPd reste suffisamment actif pour assurer la conscience de la présence du sujet dans l’espace. En cas de TSPT+TD, le CPFVM est, au contraire, hyperactivé[11], ce qui explique l’importance de la dépersonnalisation souvent cliniquement constatée, au point d’inhiber presque complètement le processus d’autoréférence somatique[12]. L’hyperactivité du CPFVM peut être tellement extrême que les personnes affectées sont complètement déconnectées de leurs sensations viscérales et perdent la capacité même à expérimenter l’effroi. Il y a perte complète du sens de la propriété de son propre corps et de son agentivité.

 

En cas de comorbidité associant TSPT et TDC, au contraire de la situation du TSPT sans la comorbidité TDC, une hyperconnectivité intrinsèque au DMN, ce qui est aussi observé dans la majorité des dépressions sévères.



Le réseau de contrôle exécutif


Le réseau de contrôle exécutif (ECN) est normalement aux commandes lorsque le DMN lui laisse la place via le shift orchestré par le SN. Il s’active pour permettre l’attention sélective (se concentrer sur quelque chose en faisant abstraction du reste), la prise de décision quant à la tâche à sélectionner, la mémoire de travail, la régulation émotionnelle consciente. En résumé, il gère le contrôle des fonctions exécutives pour la meilleure réalisation des tâches. Dans les publications plus récentes, il est aussi mentionné en tant que réseau fronto-pariétal (FPN). Sa structure corticale frontale principale est le cortex préfrontal dorsolatéral CPFDL (AB09-AB46 [13] et sa structure corticale pariétale est le cortex pariétal latéral postérieur PPC en position externe par rapport au PCUN (le PPC s’étend sur AB05 et AB07). Dans sa fonction de contrôle exécutif, le CPFDL est en connexion avec les cortex prémoteur (AB06) et moteur (AB04) pour l’exécution des tâches et avec le PPC pour renforcer l’attention visuo-spatiale à l’environnement et améliorer ainsi la coordination motrice en aval. Une connexion entre l’ECN et le DMN, via celle reliant le CPFDL pour l’ECN et le CPP pour le DMN, assure la coordination entre les deux réseaux leur permettant de switcher de l’un à l’autre avec activation de l’ECN et désactivation du DMN lorsqu’une tâche exécutive s’impose, cela sous le contrôle du SN (Figure n°3).


Figure n°3 : Réseau de contrôle exécutif – connexions et fonctions


En cas de TSPT, le CPFDL est comme isolé dans son réseau exécutif – peu connecté d’avec le PPC – et hypoactif, ce qui entraîne une moindre qualité du fonctionnement de l’ECN. Il est aussi déconnecté du DMN par perte de l’arbitrage entre l’ECN et le DMN en raison de l’hyperstimulation du SN. Au total, une perte d’efficacité cognitive, une perte du contrôle inhibiteur top-down sur le SN, une perte de coordination avec le DMN, avec en conséquence une sous-modulation émotionnelle (incapacité de maintenir un calme intérieur, incapacité d’inhiber les mémoires traumatiques et les intrusions), une moindre qualité d’exécution des tâches (évitement inapproprié), un déficit d’orientation de l’attention vers les inputs pertinents générateur d’un sens altéré de la réalité aggravant la dissociation générée par le dysfonctionnement du DMN.

 

En cas de TSPT, on constate aussi une déconnexion entre le CPFDL et le CPM, ainsi qu’entre le PPC et le CPM, d’autant plus nette que la symptomatologie est sévère. Ces déconnexions génèrent des réactions comportementales inadéquates (fight/flight non pertinents). Dans un test de remémorisation autobiographique on constate une incapacité d’activation du PCUN et du PPC, ce qui déforme les souvenirs et peut être générateur d’interprétations inadéquates, d’intrusions éventuellement hallucinatoires. Le défaut d’activité normale du PCUN et du PPC peut ainsi être interpréter comme une incapacité à effectuer les bons calculs bayésiens[14], d’identifier les causes réelles des inputs sensoriels intéroceptifs, et ainsi priver le CPFDL des informations nécessaires à son bon fonctionnement. Une des causes du dysfonctionnement du PCUN est une surstimulation inadéquate via une excessive imprégnation de NA en provenance du LC.

 

En cas de comorbidité associant TSPT et TDC, au contraire de la situation du TSPT sans la comorbidité TDC, une hyperconnectivité intrinsèque au ECN-FPN. Il en résulte un fonctionnement exécutif très inadéquat avec en conséquence une plus forte sévérité des symptômes (critères additionnels spécifiques au TDC D3, D5, E5 et E6 du DSM-5). Concrètement, il en résulte une encore moindre flexibilité d’adaptation des tâches nécessaires pour un retour à l’homéostasie.


Figure n°4 : A gauche : Vue latérale gauche / A droite : Vue sagittale droite.




Notes :

[1] En réalité, une partie seulement de l’ECN est impliquée dans le TSPT, celle dite du réseau fronto-pariétal (FPN) connectant du côté ventral le cortex préfrontal dorsolatéral (CPFDL) et du côté dorsal le cortex pariétal latéral postérieur (PPC).

[2] Le réseau de saillance (salience network = SN) a fait l’objet d’une description antérieurement sans en avoir introduit le concept (Du Vague à l’âme, n°7). Il présente une triple fonction de mémoire de travail (garder en mémoire active les informations nécessaires à l’exécution d’une tâche), d’inhibition (résister aux automatismes) et de flexibilité cognitive (capacité de « shifter » rapidement d’une tâche à l’autre). Le SN est en quelque sorte le « gatekeeper » du contrôle exécutif.

[3] Dans le sens de « prendre avec » et non pas dans le sens cognitif, la prise de conscience n’étant pas systématique.

[4] La jonction temporo-pariétale droite (JTPd) se situe autour de la scissure séparant et comprenant en haut deux zones du lobe pariétal (AB40 & AB39) et en bas trois zones du lobe temporal (AB41, AB42 & AB22). Nous avons résumé son rôle par « facilitation de la compréhension de l’événement ». Plus précisément, la JTP oriente l’attention vers les nouveaux stimuli liés à l’environnement externe pour en influencer l’interprétation et contribuer ainsi à la formation des prédictions bayésiennes. Dans la fonction du SN c’est la JTPd qui est concernée au premier chef car la gauche dans l’espèce humaine s’est développée pour permettre la compréhension du langage oral, ensuite l’écrit. En particulier avec les aires auditives primaire (AB41) et secondaire (AB42), ainsi que les aires dédiées à la compréhension des mots parlés et écrits (Wernicke=AB22 & gyrus angulaire=AB39). Le gyrus supramarginal droit (SMG=AB40) intervient pour la dimension émotionnelle accompagnant l’orientation attentionnelle aux nouveaux stimuli, en particulier ceux engageant la théorie de l’esprit (Du Vague à l’âme, Episode n°2). Le SMG gauche intervient dans le traitement phonologique des mots et l’angulaire gauche dans leur traitement sémantique. L’angulaire droit intervient dans la dimension créative de l’interprétation.

[5] Le cortex préfrontal latéral inférieur droit (CPFLId) correspond aux AB44 et AB45 qui à gauche forment l’aire de Broca (CPFLIg). L’aire de Broca est aussi mobilisable par le SN pour l’intégration des données verbales liées aux stimuli saillants.

[6] Le PCUN (AB07) a fait l’objet d’une première introduction dans la série précédente (Du Vague à l’âme, n°2) où nous avions montré le rôle d’imagerie visuospatiale du PCUN dans la « voie dorsale », celle nous permettant d’ajouter une dimension mnésique exécutive liée à la sensation et particulièrement à la vision mais aussi à l’audition (la voie du « où » qui nous donne accès aux relations spatiales et du « comment », celle qui nous permet de localiser l’objet d’attention pour guider l’action à venir en se la représentant et d’identifier la familiarité ou non avec ce qui est observé, d’interpréter la sensation), alors que la « voie ventrale » associée elle aussi à la sensation et à la vision nous ajoute la dimension mnésique sémantique (le « quoi »). Le PCUN est la structure du SN qui sert à switcher du DMN à l’ECN si l’information afférente est suffisamment pertinente pour engager l’attention. Cette structure participe à l’agentivité et à la conscience de soi intéroceptive et spatiale. Ses différentes fonctions nous permettent de comprendre le rôle nécessaire du PCUN pour la qualité du contrôle exécutif.

[7] Le CPFVM a été introduit précédemment (Du Vague à l’âme, Episode n°7).

[8] Rétrosplénique car à l’arrière du splénium, la boursouflure postérieure du corps calleux. Le cortex rétrosplénique comprend le cortex rétrosplénial granulaire (CCPrs=AB29) et le cortex rétrolymbique agranulaire (CCPrl=AB30).

[9] L’hippocampe postérieur (HPost) est impliqué dans la dimension spatiale des sensations extéroceptives. Cette dimension spatiale, par ce qu’elle apporte de précision dans la représentation que l’on peut se faire de notre environnement à partir de nos sensations extéroceptives, peut représenter un facteur de réassurance. L’HPost n’a pas de connexion avec l’amygdale, contrairement à l’hippocampe antérieur (HAnt).

[10] « Je suis trop nulle pour me gérer », « Je mérite les choses moches qui m’arrivent ».

[12] Ce qui peut conduire à des déconnexions extrêmes du ressenti corporel produisant jusqu’à des expériences subjectives de sortie du corps (héautoscopie).

[13] Le CPFDL a déjà été mentionné dans la série précédente (Du Vague à l’âme, n°2 et plus exhaustivement au n°7).

[14] Voir notre première série (Le cerveau bayésien, Episode n°1).







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