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Prévenir et soigner les troubles du spectre traumatique (Épisode n°6)

  • Dr Jean-Pierre Papart
  • 12 oct.
  • 14 min de lecture

Dernière mise à jour : 13 oct.

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La première consultation (3èmepartie)


Détermination de l’objectif


Pour la détermination de l’objectif, le thérapeute doit – lui aussi – être clair avec ses propres priors pour ne pas mal orienter son patient vers une thérapie cul de sac. Le thérapeute est déterminé par des priors dans ses pratiques professionnelles. Ce n’est pas la même chose d’interpréter un problème comme une rupture par rapport à un antériorité équilibrée (homéostatique) ou, au contraire, comme une exigence d’adaptation à une nouvelle réalité (allostatique), résultat de l’évolution du monde et/ou du sujet ("mid-life crisis"). Dans le premier cas, on conçoit la guérison comme un retour à l’état antérieur pré-problématique (souvent le patient vous dira qu’il veut redevenir « comme avant ») ; dans l’autre cas, comme un accès à une nouvelle synthèse. La seconde approche est plus adaptée aux modèles vivants. Si, comme dans la première approche, tant le patient que le thérapeute considèrent qu’il y a lieu de revenir au modèle homéostatique antérieur, celui d’avant la survenue de sa souffrance, la solution la plus probable risque fort de n’être accessible qu’après dix ans de psychanalyse ou plus vraisemblablement jamais. Dans ce 1er cas, l’anamnèse portera sur le passé du patient, son problème et du « pourquoi ». Dans l’autre cas, dans une optique d’adaptation allostatique, ça pourrait être : « Une ou peut-être plusieurs parties de vous-mêmes sont arrivées à la conclusion que les choses devaient changer et que le problème qui vous assaille sans vous demander la permission n’a plus qu’à bien se tenir et dégager. Et nous allons voir si ce que le problème représente aurait pu éventuellement avoir eu un quelconque intérêt. Donc nous allons réfléchir à deux fois avant d’engueuler le problème car il est peut-être intervenu pour nous faire comprendre que nous ne pouvons plus indéfiniment continuer comme avant car le contexte de votre vie a changé et qu’il est nécessaire d’en tenir compte. Donc, nous allons remercier le problème et lui permettre d’aller voir ailleurs et de vous laisser vivre ». Dans le 2d cas donc, l’approche portera sur la vie future du sujet, une fois libéré du problème. La thérapie consistera à faire le deuil du problème et à trouver les conditions d’une existence sans celui-ci. D’où ma fréquente question à la fin de la première consultation : « Que doit-il se passer dans votre cœur, votre cerveau, votre corps, vos émotions, vos relations, vos décisions, pour que vous me disiez lors d’une prochaine consultation que vous gérer votre vie à satisfaction et que nous ne devons plus nous rencontrer ? ». Ou encore : « Comment vivrez-vous quand le problème aura cessé d’affecter votre vie et vos relations ? ». Si la réponse à cette question semble inaccessible en début de thérapie, une façon d’accéder progressivement à une réponse est d’identifier des « moments d’exception » (autre concept de White et Epston) où le sujet s’est montré plus fort que le problème (identification des ressources).


En début de thérapie, quand les symptômes liés au problème sont en général particulièrement prononcés, suffisamment pour n’être plus tolérables au point d’avoir motivé la demande de consultation, notre message thérapeutique subliminal (suggestion) sera de considérer ce moment initial, non plus comme une période de désorganisation du sujet, mais bien de résistance au problème. Cette phase initiale devrait permettre les 3 phases suivantes : 1) phase de rupture par rapport à un statut, une certaine identité, un certain rôle, mais qui n’est plus viable pour le sujet, le couple ou la famille, 2) phase de deuil, avec les caractéristiques émotionnelles de celui-ci, une étape intermédiaire pour retrouver un nouvel équilibre plus adéquat, 3) phase de redéfinition du statut, de l’identité, du rôle plus adapté à l’état actualisé du monde et du sujet avec l’acceptation pleine des nouvelles responsabilités, voire de nouvelles opportunités (effort allostatique).


Autre question pour préparer un recadrage : « Si vous continuiez à éviter cette situation qui vous fait peur, qu'est-ce que cela vous coûterait dans cinq ans ? ». Cette question vise à provoquer une réflexion sur les conséquences à long terme des comportements d'évitement, encourageant ainsi le patient à envisager des changements. Pour Freud, l’objectif de la thérapie est de libérer le patient de la rigidité de ses symptômes névrotiques connectée à sa compulsion de répétition. Sur ce point je partage son point de vue (le lecteur aura compris que ça ne m’arrive pas souvent 😊).



Le recadrage


Le recadrage nous permet une reconfiguration du problème, du « quoi », afin de rendre le changement inéluctable. C’est gagné si on met d’emblée un pied dans la porte pour en forcer l’ouverture.


Milton Erickson est à l’origine de la technique de recadrage (reframing en anglais) comme il l’a fait pour l’externalisation et le "yes set". L’objectif du recadrage consiste à changer le sens ou la perception d’une situation, d’un symptôme ou d’un comportement, afin de permettre au patient d’intégrer les choses sous un nouvel angle plus constructif. Sur le plan conceptuel, cette technique a été formalisée dans le cadre de la thérapie brève et systémique par l’Ecole de Palo Alto dans les années 1960-1970. Si l’initiateur de la technique est bien Milton Erickson, les instigateurs du concept en thérapie systémique sont Paul Watzlawick, John Weakland et Richard Fisch (Change: Principles of Problem Formation and Problem Resolution, 1974). On peut y lire : « Recadrer signifie modifier le contexte conceptuel et/ou émotionnel d’une situation, ou le point de vue selon lequel elle est vécue, en la plaçant dans un autre cadre, qui correspond aussi bien, sinon mieux, aux "faits" de cette situation concrète, dont le sens, par conséquent, change complètement ». Il ne s’agit donc pas de transformer les faits, mais de changer leur perception pour en modifier le sens. On parle d’un changement de type II qui porte sur le cadre / le système de la perception d’un problème, plutôt que d’un changement de type I qui porte sur une simple modification du comportement dans un cadre / système inchangé.


La technique repose conceptuellement sur les deux dimensions de la cybernétique, celle du feedback de la 1ère cybernétique, dans ce cas de la récursivité du système entre le(s) symptôme(s) et les recours mis en place par le patient ou son entourage pour en limiter l’impact, et celle de 2de où la participation du thérapeute à l’interaction avec le patient est pleine et entière sans se limiter à un rôle d’observation, induisant une récursivité des interactions entre patient et thérapeute.


Un thérapeute, fan de l’épistémologie de Gregory Bateson, Bradford Keeney (1950-), me semble être celui qui fait le lien entre cybernétique et thérapie systémique, mieux encore que Bateson lui-même qui n’était pas thérapeute[1]. Dans son ouvrage Aesthetics of Change (1983), Bradford Keeney présente sa proposition thérapeutique d’ « analyse récursive des cadres » (RFA pour Recursive Frame analysis) qui s’appuie sur la 2de cybernétique[2] discutée aux Conférences de Macy (1942-1953), et surtout aux décours de celles-ci. Son approche thérapeutique n’est pas interprétative, c’est-à-dire centrée sur une recherche sémantique de sens (comme peut l’être la psychanalyse). Elle n’est pas recherche du « pourquoi » comme nous l’avons déjà mentionné. Au contraire, son approche est performative. Elle est cybernétique (au sens grec : art d’utiliser l’information pour piloter, pour gouverner), capable d’engager du mouvement dans un cadre qui n’est pas un schéma rigide et qui donne une forme à l’interaction patient-thérapeute où les mots, gestes et silences servent à organiser une transformation. Le cadre est un contexte qui donne sens à un message ou à une interaction. Par exemple, un même signal non verbal, comme un clin d’œil, peut signifier soit de la complicité, soit de la moquerie, selon le "cadre". Les cadres peuvent encore s’emboîter, se confondre ou entrer en conflit. Par exemple, le signal verbal « ce n’est pas une blague » peut changer radicalement selon le cadre d’un propos prononcé et interprétable initialement comme de l’humour, mais interprété finalement comme une réprimande.


Le thérapeute comme le patient partage un rôle actif. Ils coconstruisent la réalité de leur séance (c’est cette dimension d’implication active et non seulement d’observation du thérapeute qui définit la thérapie systémique comme une application cybernétique de 2d ordre). Le thérapeute est acteur, pas seulement observateur. Il invente un contexte alternatif pour agir sur le cadre dans lequel un changement pourrait se pointer. Ses outils sont sa posture, son improvisation verbale, non-verbale et para-verbale, les objets symboliques qui équipent son cabinet.


Le cadre de consultation peut évoluer au cours de la séance, reflétant la dynamique de la communication thérapeutique. Exemple : Si un client dit « je suis nul », le cadre initial est de type "auto-dévalorisation". Le thérapeute peut tenter de bousculer ce cadre en répondant : « Quand vous dites cela, est-ce que c’est vous qui le  pensez ou c’est quelqu’un d’autre qui vous l’a mis dans la tête » (hétéro-dévalorisation). Ou encore dans un autre style  plus baguenaudeur : «  Je ne vous autorise pas à insulter mon patient ». La question n’est pas de viser absolument juste, mais bien toujours d’ouvrir un espace à un changement potentiel. Pour Keeney, la consultation devrait être, en quelque sorte, une sorte de performance théâtrale où les rôles sont différenciés entre client(s) et thérapeute(s), mais adaptés à une commune performance. Le premier acte est généralement une plainte concernant la souffrance ou la situation bloquée de la vie du client. La séance peut rester bloquée dans ce premier acte, soit évoluer vers d’autres contenus ou contextes pour autant que le cadre soit modifié. Comme une pièce de théâtre, la thérapie doit passer d’une étape à l’autre, d’un acte d’ouverture (problème) à un acte final (solution/enrichissement), à travers un acte central (une transformation vers un changement). Pour Bateson, le changement ne vient pas d’une action linéaire, mais d’une modification du cadre qui organise récursivement l’expérience. Pour Keeney, Le thérapeute ne cherche pas à « résoudre » un problème, mais à changer le cadre qui le maintient. Selon le Principe de l’énergie libre (PEL) de Karl Friston, il s’agit de changer le prior.


Keeney nomme « analyse récursive des cadres », la technique qui sera la sienne en tant que psychothérapeute et la déduit directement de l’enseignement cybernétique de Bateson. Nous avons discuté le concept de « cadre », passons maintenant à celui de « récursivité ». Celle-ci désigne un processus où le résultat d’une action devient « récursivement » l’entrée d’une nouvelle action (boucle circulaire).



Exemple n°1


Une personne qui craint l’échec évite les défis, ce qui renforce son sentiment d’échec. Le patient répète un schéma qui maintient son problème (cercle vicieux). Le thérapeute engage un questionnement susceptible d’engager un processus circulaire avec le patient. Il questionne le prior du patient : «  Quand vous dites "toujours", c’est un constat ou un pari sur l’avenir ? ». Le patient : «  Les deux, j’ai peur et n’imagine pas ne plus avoir peur » (le patient passe du cognitif à l’émotionnel). Le thérapeute décide intuitivement d’introduire alors un nouveau cadre susceptible de briser la boucle circulaire (cercle vertueux) en questionnant : « Et si cette peur vous rendait plus forte car prudente à cause de votre expérience ? » (Proposition de recadrage : troquer la "peur de l’échec" en une "force" pour ouvrir à la possibilité de troquer "l’évitement" contre "le relèvement" du défis). Pour Keeney, le thérapeute tente des suggestions susceptibles de créer une différence dans la perception du patient (« une différence qui fait la différence » pour paraphraser Bateson). Il est important pour le thérapeute de bien identifier les boucles récursives et l’analyse récursive des cadres doit distinguer les deux niveaux que sont d’une part, le contenu (ce qui est dit) et d’autre part, le contexte (le cadre qui donne sens à ce qui est dit). Il doit identifier à quel niveau se situe le blocage (contenu vs contexte). Dans l’exemple, l’échange patient-thérapeute permettra d’identifier le rôle contextuel de la peur pour éclairer le contenu sémantique exprimé par le patient d’être incapable de relever tout défis. Le changement thérapeutique nécessite le plus souvent un changement de niveau.


 Tableau 1 : Analyse récursive des cadres (exemple n°1)

Étape

Verbatim

Cadre

Niveau (N)

Récursivité

1

« Je suis toujours en échec »

Échec

N1 : contenu

Boucle : Échec -> Évitement -> Échec

2

« Quand vous dites "toujours" c’est un constat ou un pari sur l’avenir ? »

Métacognition

N2 : contexte

Perturbation du cadre en passant du passé au futur

3

« Les deux. J’ai peur et n’imagine pas ne plus avoir peur »

Peur

N2 : contexte

Nouveau cadre : la peur en lieu et place de l’impuissance.

4

« Et si cette peur vous rendait plus forte à cause de la prudence acquise par l’expérience ? »

Suggestion

N3 : contenu alternatif

Tentative d’extériorisation de la peur de l’échec

Pour formaliser l’observation et guider l’intervention, il est utile de recourir à un tableau qui détaille chaque étape du dialogue circulaire patient-thérapeute, en précisant non seulement le verbatim échangé, mais aussi le cadre interprétatif et le niveau (contenu ou contexte) sur lequel se situe la boucle de récursivité. Ce type de schématisation permet de rendre visible le passage d’un cadre à l’autre et d’illustrer comment le recadrage amorce la transformation du système perception-action du patient.



Exemple n°2


Une collègue de notre cabinet me demande de voir une de ses patientes chez qui elle a diagnostiqué un TSPT. Après un accident de la route, Mélanie, 27 ans, ne peut plus monter dans une voiture. Au moment de l’accident, elle était dans une voiture conduite par une amie. Le compagnon de cette amie se trouvait aussi devant. Mélanie était derrière avec son compagnon Mathieu à sa gauche et une autre amie à sa droite. L’amie au volant conduisait parfaitement mais une voiture arrivant dans le sens opposé a changé brusquement de trajectoire et a percuté leur véhicule. Le choc a été violent. C’est elle qui a été la plus affectée physiquement et a dû être extirpée de la voiture par des secouristes, un fois arrivés sur les lieux, avant d’être emmenée à l’hôpital. Les secouristes ont refusé que Mathieu l’accompagne dans l’ambulance. Elle me déclare : « C’est moi qui suis responsable de l’accident car si je n’avais pas demandé qu’on aille à Pontarlier pour m’acheter des fringues pour la moto, on n’aurait pas eu d’accident ». Proposition du thérapeute : « Vous m’avez expliqué que c’est Mathieu qui aime faire de la moto et vous a convaincu de partager sa passion. C’est de sa faute si je comprends bien ? »


Tableau 2 : Analyse récursive des cadres (exemple n°2) 

Étape

Verbatim

Cadre

Niveau (N)

Récursivité

1

« C’est moi qui suis responsable de l’accident »

Culpabilité

N1 : contenu

Boucle : « Je suis coupable » -> « Si j’utilise encore la voiture … » -> « Ce sera Mathieu qui sera gravement blessé ou pire » (culpabilité) -> ne se donne plus le droit de monter dans une voiture

2

« Si vous avez accepté de faire de la moto, c’était pour faire plaisir à Mathieu, donc c’est de sa faute ? »

Métacognition

N2 : contenu alternatif

Perturbation du cadre

3

« Oui, j’aime Mathieu et le remercie de m’avoir fait découvrir la moto »

Amour

N2 : contexte alternatif

Nouveau cadre : l’amour en lieu et place de la culpabilité

 

Exemple n°3


Mme A., mariée et mère de deux enfants, est très braquée sur sa relation à son fils aîné, Pierre, pour lequel elle se fait beaucoup de soucis, car il se drogue et vient de quitter la maison. Elle se montre fort déprimée. A vouloir tout centrer sur cette relation difficile, est-on assuré de la meilleure entrée dans le problème ?

Th. : « Qui remarque le plus dans votre famille, par ordre décroissant, que vous êtes déprimées ? »

P. : « Ma fille, puis mon fils, et enfin mon mari »Th. : « Imaginons que votre fille soit assise ici et que je lui demande "que fait votre père quand votre mère se montre déprimée ?"que pensez-vous qu’elle me répondrait ? »

P. : « Elle me dirait, je crois, qu’il est indifférent »

Th. :  « Seriez-vous d’accord avec elle ? »

P. : « Oui, assez ».

Th. : « ET votre mari ? »

P. : « Je ne sais pas ». Un doute semble poindre dans la pensée de Mme A., en tout cas suffisamment pour qu’elle se décide à poursuivre le questionnement avec son mari lui-même. Celui-ci lui révèle que la mort de son propre père, il y a trois ans, l’a plongé dans une extrême solitude, n’ayant pas réussi entre autres à trouver du soutien chez sa femme à qui il s’était confié. Il s’avère aussi que le fils se sent très concerné par ce qui est arrivé à son père. On voit ainsi comment un nouveau cadre est donné pour comprendre cette dépression (voire la prise de drogue de Pierre), d’abord appréhendée comme un comportement morbide de la mère, puis référée, mais limitée à la seule relation mère-fils.

 

Ce 3ème exemple est repris mot à mot d’une publication de Nicolas Duruz[3] dans laquelle il retrace l’historique de la conception et de la pratique de la psychothérapie individuelle d’orientation systémique (PIOS). Pour l’école de Palo Alto, comme pour celles de Bowen, Minuchin ou de Milan, la famille est un système homéostasique inscrit dans des boucles rétroactives (FB) entre ses membres. Lorsqu’un de ceux-ci apparaît comme spécifiquement psychiquement affecté, c’est alors le système – la famille – qu’il y aura lieu de reconsidérer. En ce sens, le concept de PIOS représente un véritable saut métalogique, théoriquement valide si l’on admet que le patient lui-même est un système à part entière, non exclusivement déterminé par le système familial auquel il appartient. Toutefois, la thérapie systémique pré-PIOS, pouvait s’inquiéter à juste titre du risque que représentait une approche individuelle de valider la désignation du patient et de conforter le rôle homéostatique du patient « désigné » au sein de sa famille. C’est la raison pour laquelle la thérapie systémique s’est longtemps exclusivement concentrée sur la famille. Il me semble que le concept de différenciation du soi / Diferenciation of Self (DoS) de Muray Bowen est une étape épistémologique intermédiaire entre la position homéostasique initiale de la thérapie systémique et la position allostatique de la PIOS. Ce saut épistémologique vers la PIOS a bénéficier d’un développement ultérieur à la cybernétique de type 1 et 2 des conférences de Macy pour y intégrer la cybernétique d’Ilya Prigogine[4]. Nous avons déjà présenté comment le Principe de l’énergie libre (PEL) de Karl Friston permet aujourd’hui de pénétrer la boîte noire du système hiérarchique que représente aussi l’individu indépendamment de sa famille, toutefois connecté à celle-ci. Une façon d’en tenir compte dans une PIOS est de faire régulièrement usage, sinon systématiquement, de l’outil génogramme que nous présenterons ultérieurement.

 

Tableau 3 : Analyse récursive des cadres (exemple n°3) 

Étape

Verbatim

Cadre

Niveau (N)

Récursivité

1

« Ma fille, mon fils, puis mon mari … remarque que je suis déprimée »

Le père ne remarque presque pas la dépression de la mère

N1 : contenu

Boucle : le père ne remarque pas la dépression de la mère -> le père n’est pas engagé affectivement contrairement à la fille

2

« Si je demandais à votre fille ce que son père fait quand vous êtes déprimée, quelle serait sa réponse ? »

Métacognition

N2 : contexte

Perturbation du cadre en confrontant la mère à travers sa fille

3

« Il serait indifférent »

Indifférence

N2 : contexte

Nouveau cadre : l’hypothèse du désamour du père par rapport à la mère

4

Le chaos introduit va pousser la mère à questionner directement le père

Suggestion d’action

N3 : contenu alternatif

Le père s’est senti incompris par la mère mais compris par le fils -> le père souffre aussi -> le fils souffre pour le père

 

Pour Keeney, « la vraie thérapie ne consiste pas à résoudre des problèmes, mais à transformer les cadres qui les maintiennent ». Selon le principe de l’énergie libre (PEL) de Friston, nous préférons dire aujourd’hui que la thérapie consiste à changer les priors ayant perdu leur pertinence. Le stoïcien Epictète (50-125) disait déjà que ce ne sont pas les choses qui nous troublent (qui nous dérangent), mais bien l’opinion que nous nous en faisons.


Le recadrage qui suit l’externalisation thérapeutique est la 1ère tentative stratégique de confrontation aux priors. C’est pour cette raison que la première consultation est déjà à visée thérapeutique. Mais les données apparues au cours du recadrage ne sont pas une vérité. Elles sont le résultat d’une hypothétisation comme nous l’avons définie dans le blog précédent[5]. Donc, pas question pour le thérapeute d’imaginer narcissiquement qu’il aurait identifié – malin comme il se sent – le « pourquoi » du problème du patient. Non, on ne s’intéresse pas au « pourquoi », mais on cherche à tarabuster le « quoi » et notre véritable allié sera le « comment ». Le recadrage a comme seule fonction louable d’introduire un certain chaos,  passage incontournable vers un possible changement.




Notes :

[1] Je peux aussi mentionner Mony Elkaïm qui dans son livre Si tu m’aimes, ne m’aimes pas (1989) renouvelle lui-aussi cette réflexion épistémologique en l’enrichissant des recherches d’Ilya Prigogine.

[2] Heinz von Foerster (1911-2002) est l’initiateur de la 2de cybernétique, celle des systèmes observants. La 1ère est celle des systèmes observés (Norbert Wiener). La 2de s’intéresse non seulement aux systèmes, mais aussi à l’observateur, la subjectivité, la construction de la réalité dans une optique constructiviste (Piaget). Une application concrète  de cette nouvelle approche cybernétique est que le thérapeute ne reçoit pas comme telles les paroles et émotions du patient, mais ses propres priors influencent les représentations qu’il s’en fait. Patient et médecin coconstruisent ainsi la consultation dans une circularité, qui intègre le patient, le couple ou la famille, qui consulte dans un système élargi au thérapeute. Heinz von Foerster n’a pas participé aux conférences de Macy, mais ses travaux étaient connus de l’un ou l’autre des participants.

[3] La Psychothérapie individuelle d’orientation systémique (PIOS) : une thérapie sans famille ? (Thérapie familiale 2011/3 Vol.32, p.331-347). Le professeur Nicolas Duruz est le concepteur du concept de la PIOS. Celui-ci a émergé dans les années 2000 au sein de l’Unité d’Enseignement-Centre d’étude de la famille (CEF) de l’Université de Lausanne (UNIL), sous l’impulsion de Nicolas Duruz. Dès 2004, il a sollicité ses deux collègues Antoinette Corboz-Warnery et Elvira Pancheri pour constituer un groupe de réflexion visant à définir et la formaliser la PIOS. En termes de formation médicale et de santé publique, cette démarche était en réalité incontournable car la formation systémique exclusivement centrée sur le couple et la famille ne tenait pas compte de la réalité de la pratique psychothérapeutique, en très grande partie dédiée aux prises en charge psychothérapeutique individuelle. Il est important de mentionner qu’en Suisse, contrairement à la pratique dans la plupart des autres pays, que la spécialité médicale psychiatrique intègre une formation psychothérapeutique, celle-ci ayant trois orientations à choix : psychodynamique, cognitive-comportementale ou systémique. Les deux premières approches étant fondamentalement conçues dans une orientation de prise en charge individuelle, ce qui n’était initialement pas le cas de la systémique avant l’impulsion du Nicolas Duruz. La conception de la PIOS par Nicolas Duruz a été précédée par les travaux de Luc Kaufmann et Elisabeth Fivaz, fondateurs du CEF en 1977 et par ceux de Boscolo et Bertrando (Systemic therapy with individuals, 1996). Je me permets d’ajouter l’hommage personnel que je voudrais présenté au Professeur Duruz pour le coaching de très grande qualité qu’il m’a apporté pour la rédaction de mon mémoire de fin de formation.

[4] Nous reviendrons dans un prochain blog (Le cerveau bayésien, Episode n°9) sur l’apport majeur de l’épistémologie cybernétique de Prigogine à la psychothérapie systémique.


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