Au décours strict de l’immobilisation initiale d’observation d’une situation potentiellement dangereuse et pour autant que la menace ne soit pas au premier plan, plusieurs phénomènes interagissent dans un faisceau de causalité multiple pour rétablir l’homéostasie.
Figure n°1 : Tentative d’évitement de l’agression.
L’activation du complexe vagal ventral (VVC) va stimuler le noyau ambigu (NA’) qui va inhiber l’inhibition de la sécrétion d’ocytocine[1] par le noyau paraventriculaire (NPV) de l’hypothalamus qui va donc synthétiser davantage d’ocytocine. Celle-ci aura une action inhibitrice sur le noyau moteur dorsal du Vague (DMX) (Figure n°1). Le VlPAG va se voir aussi fortement stimulé par cette hypersécrétion d’ocytocine vu sa richesse en récepteurs ocytocinergiques, ce qui va permettre au VVC de prendre le dessus en raison de la reconnaissance de la présence rassurante de nos autres congénères disposés à nous protéger ou d’une intuition de la possibilité d’une communication pacifiante avec l’agresseur potentiel. Le NA’ inhibe aussi l’axe hypothalamo-hypophysaire-surrénalien (HHS) avec comme conséquence une moindre sécrétion de cortisol. L’inhibition de la sécrétion de cortisol inhibe le SNS. Stimulé par le VlPAG, le NA’ sécrète de l’acétylcholine (ACh)[2] qui va stimuler les récepteurs nicotiniques du nœud sino-auriculaire cardiaque avec en conséquence une baisse rapide de la fréquence cardiaque. Au total, s’il y a reconnaissance de sécurité, le VVC va offrir une plateforme neurale en liant la régulation viscérale haute (cœur et bronches) identifiable par de l’arythmie respiratoire sinusale (ARS) avec une expression faciale permettant la communication (prosodie d’une part et capacité à détecter et entendre la voix humaine d’autre part). Dans ce cas, l’immobilité associée à cette stimulation n’est pas de type figement mais de sérénité, très favorable à l’établissement ou à la consolidation du lien social, assurance de sécurité et de confiance. Le VVC sert à contrôler l’excès d’activation sympathique lorsque celle-ci n’est pas utile en permettant l’engagement social. Pour que le contact social puisse opérer, il est nécessaire que le cœur se calme d’une part et que la disposition à la rencontre se perçoive. Il est possible d’évaluer l’action tranquillisante du NA’ en mesurant l’arythmie respiratoire sinusale (ARS) qui ne dépend que de l’action du VVC, ce qui n’est pas le cas de la fréquence cardiaque qui est aussi influencée par le SNS et le DVC. Donc l’ARS est un marqueur de la force du VVC. Mais pour que le NA’ déclenche cette cardio-inhibition, il faut au préalable qu’une information afférente apaisante lui arrive du NTS. Le NTS est le hub de l’intéroception et reçoit les afférences vagales et spinales. C’est la stimulation par le NA’ qui ralentit la FR à l’expiration en inhibant le pace maker sino-auriculaire. L’ARS a comme conséquence une augmentation de la variabilité de la fréquence cardiaque (HRV pour heart rate variability)[3] : à l’expiration le NA’ est stimulé et va ralentir le cœur ; le contraire à l’inspiration. Nous verrons que lorsque le DVC est activé, il y a aussi bradycardie mais sans augmentation de l’ARS. L’effet est très différent car si l’ARS augmente la saturation en oxygène, la baisse de la FC par stimulation du DVC la réduit. Face à une possible menace de danger, nous montrons aux autres, s’ils sont là disponibles et bienveillants, notre angoisse par des expressions faciales et le ton de notre voix, pour faire signe aux autres de nous venir en aide. Mais si personne ne réagit ou si la menace est plus nette, alors c’est notre système sympathique qui va alors prendre le dessus.
Stimulé par le VlPAG, le NA’ va décharger de l’ACh dans ses neurones efférents myélinisés (fibres B rapides) en direction des récepteurs nicotiniques du nœud sino-auriculaire provoquant une réduction de la fréquence cardiaque (FC) et une variabilité majorée de la fréquence cardiaque (HRV pour heart rate variability). La tentative de communication apaisante passe par la mobilisation de la voix, de l’audition et de l’expression du visage afin de mobiliser l’attention de l’agresseur et/ou de ceux qui pourraient apporter une protection. Les branches efférentes du VVC ont des rameaux efférents vers le nerf facial (VII). Stimulé par le VVC, celui-ci va contracter les muscles de la face grand zygomatique et palpébral inférieur (qui ne peut être mobilisé consciemment contrairement au zygomatique) et provoquer ainsi un sourire à visée apaisante pour l’agresseur. Stimulé par le VVC, le nerf crânien VII va aussi mobiliser les muscles de l’oreille moyenne pour assurer la meilleure audition possible et ne pas manquer ainsi la moindre information auditive en provenance de l’agresseur (mais les stimulus auditifs n’affèrent pas au VLPAG comme on l’a mentionné plus haut). Au total le VVC par son action à travers le X ventral, le IX (pour prononcer éventuellement des mots apaisants) et indirectement le VII, facilite l’interaction sociale susceptible de pacifier l’agresseur et de calmer la réaction de menace quand elle n’a pas lieu d’être.
Le VVC est la structure neurale médiatrice du système de l’engagement social. Il a principalement une fonction préventive par rapport à la menace. Deux structures indirectement connectées à la PAG en cas de menace se coordonnent pour différencier le sécure et le dangereux. Le gyrus fusiforme droit (GFD=AB37)[4] identifie les visages, celui de l’agresseur potentiel comme ceux des personnes éventuellement présentes et susceptibles de jouer un rôle protecteur. Cette information est mise à disposition du sillon temporal supérieur (STS)[5] qui va compléter l’évaluation initiée par le GFD. Le STS s’active à l’évaluation des regards (ceux de l’agresseur et des protecteurs). Il permet d’interpréter un regard et s’active quand la personne en face ne regarde pas dans la direction attendue, à savoir les yeux de l’interlocuteur ; dans ce cas une mentalisation permettra d’identifier la personne comme indigne de confiance. A partir de cette information portant sur le regard, il y aura déduction de l’émotion de l’agresseur potentiel (colère = danger) et secondairement de son intention comportementale (violence éventuelle). Cette information activera très rapidement l’amygdale (30 ms) en courcircuitant le cortex intéroceptif (plus lent). Si, par contre, la situation semble sécure alors le STS va transmettre cette information au cortex insulaire via le cortex entorhinal (CE’=AB28)[6] pour qu’en aval le CPFVM inhibe l’amygdale et par là le système limbique de défense en permettant l’interaction sociale.
Figure n°2 : A gauche : Vue latérale gauche / A droite : Vue sagittale droite.
[1] L’ocytocine est un neuropeptide constitué de 9 acides aminés. Elle est produite par le NPV de l’hypothalamus. L’ocytocine agit à deux niveaux : au niveau du système nerveux central (SNC, en particulier au niveau du VlPAG), c’est un neuromédiateur d’information émotionnelle positive donc pacifiante (qui « témoignent » que les besoins homéostatiques sont satisfaits) ; au niveau périphérique, c’est une hormone (relâchée dans le sang au niveau de l’hypophyse postérieure) de la sécurité et de l’attachement facilitant les liens intersubjectifs (action non représentée dans la Figure n°1).
[2] L’ACh est une amine neurotransmettrice, inhibitrice parasympathique du cœur, stimulatrice parasympathique des organes du tube digestif et stimulatrice sympathique de la contraction volontaire des muscles squelettiques (cfr Du Vague à l’âme, Episode n°9). Ses récepteurs sont nicotiniques et muscariniques. Le complexe récepteur nicotinique-ACh est ionotrope car il ouvre des canaux ioniques et permet l’entrée de cations Na+. Le complexe récepteur muscarinique–ACh est métabotrope car n’ouvre pas de canaux ioniques mais provoque la synthèse d’une molécule qui va affecter le fonctionnement du neurone. Ce second récepteur est impliqué dans les phénomènes de régulation à long terme plutôt que dans la transmission du potentiel d’action comme c’est le cas du nicotinique. L’ACh est fabriquée dans les neurones cholinergiques, principalement dans le noyau basal de Meynert de la formation réticulée pontique, mais aussi au niveau du DMX et du NA’. Elle est fabriquée à partir de la choline alimentaire. Elle est inhibée par l’atropine.
[3] Le heart rate variability peut être provoqué artificiellement avec une efficacité réelle sur la stimulation du VVC par une respiration de cohérence cardiaque (0.1 Hz, soit 10 secondes par cycle respiratoire). Cet exercice va artificiellement informer le NTS d’une situation de sécurité. A contrario en cas d’inhibition prolongée du VVC, il y aura prédominance de la constipation, de douleurs abdominales (côlon irritable), d’anxiété et de dépressivité. J’aime présenter à mes patients la cohérence cardiaque comme un fitness de notre système nerveux autonome.
[4] Le GFD occupe l’AB37 et est situé à l’extrémité dorsale du sillon temporal inférieur. Il est en appui à la vision, précisément la reconnaissance des visages. Il reçoit son information de l’aire visuelle primaire (V1=AB17). Il transmet ensuite cette information au sillon temporal supérieur pour poursuivre l’évaluation. Le gyrus fusiforme gauche a cette même compétence chez les autres mammifères mais l’a perdue chez l’homme pour attribuer cette structure à la lecture (reconnaissance des lettres, des mots et des émoticônes). Fusiforme signifie plus large aux extrémités qu’au milieu.
[5] Le STS agit de concert avec le GFD pour évaluer la dangerosité d’une situation. Si le GFD cherche la face, le STS cherche le regard. Le STS est aussi impliqué dans la distinction de soi d’autrui ; il nous permet d’identifier un congénère et de nous y identifier (théorie de l’esprit), tout en s’impliquant dans la distinction entre moi et autrui pour ne pas se dépersonnaliser.
[6] Voir Du Vague à l’âme, Episode n°8.
Dans cet avant-dernier épisode du Vague à l'âme, on trouvera des explications complémentaires encore pour ceux et celles qui s'intéressent à la cohérence cardiaque.