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Dr Jean-Pierre Papart

Les troubles du spectre traumatique (Episode n°8)

Les troubles du spectre traumatique – physiopathologie – 5ème partie

La vision joue un rôle additionnel et spécifique dans la détection de certains événements à potentiel traumatique (EPT), ceci en raison d’un circuit neuronal additionnel de circulation de l’information visuelle, la voie colliculo-striée engagée spécifiquement dans la saccade oculaire. En cas de TSPT, cette voie est significativement davantage stimulée, en particulier les connexions entre le pulvinar inférieur et son noyau médian, ainsi qu’entre ce noyau et le noyau latéral (LA) de l’amygdale (Figure n°1). Cette hyperstimulation dérégule l’action normale de filtrage sensoriel du thalamus, réduisant dans ce cas fortement le seuil d’alerte au danger.


Figure n°1 : La voie colliculo-striée.


L’information visuelle, en l’absence de contexte de stress, circule directement de la rétine au noyau géniculé latéral du thalamus avant de rejoindre le cortex visuel (voie géniculo-corticale) en 150 ms environ (Du Vague à l’âme, Episode n°1). En présence d’une sensation significative d’un danger (exemple : visualisation d’une explosion), cette information circule aussi, mais nettement plus rapidement (50 ms) du noyau géniculé latéral du 4thalamus vers l’amygdale (voie géniculo-striée). En cas d’EPT associé à un mouvement (exemple : approche rapide d’un prédateur), cette information visuelle liée aux mouvements se voit déviée de la voie habituelle géniculo-corticale et/ou géniculo-striée pour arriver extrêmement rapidement (en moins de 10 ms) au colliculus supérieur (CS) et de là au pulvinar du thalamus et ensuite à l’amygdale (en ± 6 ms). Cette voie colliculo-striée offre un court moment temporel précédent l’émotion de peur pour mobiliser toute l’énergie disponible afin de fuir le danger via une connexion accélérée vers la PAGdl (Du Vague à l’âme, Episode n°9), ainsi qu’une mobilisation oculomotrice. Cette mobilisation oculomotrice présente une double fonction. Tout d’abord une mobilisation du regard latéralement à droite et à gauche (saccade) pour explorer les formes peut-être partiellement cachées du prédateur en raison d’un manque de lumière ou de sa non-délimitation nette d’avec le contexte. Ensuite, pour une recherche de contact visuel avec l’agresseur pour lui indiquer notre soumission et donc l’innocuité de l’agression ou encore pour identifier un congénère possiblement protecteur (Du Vague à l’âme, Episode n°10).


Le contact visuel mutuel entre deux personnes est fondamental pour identifier les émotions et les intentions d’autrui. C’est ce que permet le regard direct (les yeux dans les yeux) et non pas – ou sinon moins efficacement – le regard « évitant » (détournement partiel du regard vers un champ visuel latéral). Les émotions de bonheur et de colère sont en général directement et instantanément reconnues lorsqu’un regard direct est de mise, sans nécessairement affecter significativement l’espace global de travail et mobiliser la conscience[1]. Le regard évitant peut être toutefois porteur d’information pour autrui ; il peut permettre d’identifier la peur ou la tristesse. Les expressions corporelles (regard et expression globale du corps) neutres, à savoir sans engagement émotionnel moteur, sont en général associées à des émotions négatives, telle le doute sur l’intention d’autrui, le plus souvent anxiogène.


L’identification par la vision de l’intention d’autrui – il peut s’agir d’un autre humain comme d’un animal – est prioritaire parce que l’objectif de survie est dans tous les cas au premier plan. Cette détection mobilise en première intention les circuits subcorticaux de la vision (géniculo-strié et colliculo-strié). Toutefois, si l’assurance de l’absence de danger s’impose rapidement, par exemple face à un regard direct porteur d’une émotion à valence positive de bonheur ou d’amitié, la voie subcorticale pourra attendre l’activation de la voie corticale pour explorer les avantages potentiels de l’échange débutant entre les deux sujets.


Les personnes ayant vécus des abus, particulièrement dans l’enfance, ont appris à éviter – de manière réflexive – les regards directs, en évitant ces regards par détournement de leur propre regard, ceci dans la tentative de ne pas provoquer l’abuseur. Ultérieurement, si un TSPT s’installe, l’effet sensoriel d’un regard sera a priori confronté à un prior prédicteur de danger, entraînant ainsi une erreur de calcul bayésien qui va surestimer le risque de danger (voir Le cerveau bayésien). Chez ces mêmes personnes, la vision de l’expression d’une émotion à valence positive peut pourtant mobiliser les voies subcorticales de la vision car le regard positif de l’abuseur était en réalité pervers, ce qu’a fini par apprendre l’enfant victime. L’enfant a fait l’apprentissage de la peur traumatique (conditionnement de peur) ce qui va mobiliser prioritairement les voies subcorticales de la vision.


Les CS jouent un rôle essentiel dans la sélection des cibles visuelles en lien avec la détection des menaces attribuables à un autre être vivant en mouvement (serpents, humains présentant une expression émotionnelle menaçante du corps entier ou au moins  du visage). Ils fonctionnent dans un premier temps, extrêmement rapidement avant toute stimulation des circuits corticaux de contrôle top-down. Les CS constituent une structure-clé du réseau subcortical de la vision qui n’engage pas la pensée contrairement à ce que peut faire le réseau cortical. Ils mettent à disposition d’importantes ressources sensitives attentionnelles additionnelles (hypervigilance), en particulier sous la forme de comportements oculomoteurs explorateurs (saccades). Dans un deuxième temps, pareillement très rapide, les CS interviennent dans le déclenchement des processus moteurs défensifs – si la détection du danger a été validée – par mobilisation de la substance grise périaqueducale (PAG). Ces deux temps peuvent se traduire en un calcul bayésien des sorties motrices d’évitement ou de défense à engager (2d temps), correspondantes aux entrées sensorielles détectées (1er temps).


Figure n°2 : La voie colliculo-striée en cas de TSPT et chez les témoins.

Les patients affectés de TSPT présentent une connectivité renforcée entre le thalamus et l’amygdale (Figure n°2). Le TSPT est associé à des modifications des fonctions du regard direct et évitant en comparaison à ce que l’on peut constater chez les témoins (les personnes participantes non affectées d’un TSPT dans les recherches cliniques). Par exemple, un regard direct engage nettement plus fréquemment une activation amygdalienne en cas de TSPT contrairement aux témoins. En conséquence, le TSPT est associé à une moindre capacité de détection appropriée des intentions d’autrui avec sur-identification du danger (erreur bayésienne). Chez les patients souffrant de TSPT, la voie corticale ventrale de la vision  (la voie du « quoi » qui va du cortex occipital au temporal) et la voie corticale dorsale (la voie du « où » qui va du cortex occipital au pariétal) sont amorties. Chez les témoins, un regard direct, identifiant une émotion à valence positive chez autrui, engage normalement la voie corticale. La faiblesse de la voie corticale ne va permettre le contrôle top-down sur l’amygdale des structures ad hoc, en particulier le cortex préfrontal ventromédian (CPFVM), ce qui empêche une coordination adéquate entre amygdale et hippocampe pour passer normalement d’une mémoire émotionnelle à une mémoire déclarative. La physiopathologie consiste ainsi en un apprentissage traumatique de type amygdalien plutôt qu’hippocampique. Le traitement va consister en un nouvel apprentissage – désapprentissage par exposition à la représentation traumatique – dans un contexte sécure pour générer un néo-apprentissage non plus amygdalien mais hippocampique.


En cas de TSPT-TD, il y a renforcement de la connexion entre les CS et les régions cérébrales impliquées dans l’hypervigilance et l’anticipation émotionnelle (en particulier l’incapacité du contrôle top-down du CPF sur l’amygdale), ce qui explique la symptomatologie d’hypervigilance associée à cette pathologie.

 

En cas de TSPT+TD, il y a renforcement de la connexion entre le CS droit et la jonction temporo-pariétale (JTP) droite et déconnexion d’avec le lobe frontal, ce qui explique la symptomatologie de dépersonnalisation et/ou de déréalisation (secondairement à une désactivation des processus émotionnels) associée à cette pathologie.

 

L’inhibition top-down (par CPFVM et CPFOF) de l’amygdale est perturbée dans les TST. Ce dysfonctionnement se manifeste par une incapacité à éteindre les réponses liées au traumatisme lorsqu’elle ne sont pourtant plus appropriées.

Les colliculus supérieurs (CS) ont une triple fonction : 1) Traitement des stimulus visuels et intégration d’informations visuelles et non visuelles ; 2) Orientation de l’attention en coordonnant les mouvements des yeux et de la tête (lorsque le mouvement de la tête est restreint, les CS stimulent des saccades oculaires afin de sélectionner la cible menaçante en mouvement) ; 3) Coordination de la réaction émotionnelle de défense. Ils présentent 7 couches de cellules corticales, 3 superficielles, 2 intermédiaires et 2 profondes. Les couches superficielles sont exclusivement sensorielles et répondent aux stimuli rétiniens controlatéraux afin de sélectionner l’orientation du mouvement de la cible. Les couches intermédiaires et profondes intègrent des informations visuelles, auditives et intéroceptives d’une part et d’autre part coordonnent la réaction émotionnelle défensive. Les cellules des couches intermédiaires et profondes projettent par voies glutaminergiques au noyau médian du pulvinar (et non pas au noyau géniculé latéral) et de cette structure vers le noyau latéral (LA) de l’amygdale. C’est à partir du noyau médian que deux options de réponses sont possibles, soit un comportement de figement (suppression des mouvements et bradycardie), soit une stimulation sympathique d’hypervigilance, selon que la stimulation de l’amygdale sur la PAG ciblera sa partie ventrale ou dorsale selon l’influence top-down qu’aura le CPFVM sur l’amygdale (cf. Du Vague à l’âme, Episode n°9).

Ces données nous indiquent qu’il y a lieu sur le plan thérapeutique de ne pas se concentrer exclusivement sur des interventions en lien avec le cortex (Thérapies cognitivo-comportementa-les) mais aussi en lien avec les structures profondes du mésencéphale (Eyes movements desensitization and reprocessing / EMDR).




Notes:

[1] La reconnaissance de l’émotion chez autrui est perçue via un ressenti du même ordre chez celui à qui le regard est adressé. L’amygdale cérébrale, la structure centrale de la réaction émotionnelle, présente la caractéristique d’être à la fois apte à produire une émotion et de la percevoir sensoriellement chez autrui via l’action des neurones miroirs. (Voir la série Du Vague à l’âme, Episode n°2).

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