Le rôle de la parole

La relation entre le médecin – le psychiatre-psychothérapeute en particulier – et son patient passe nécessairement par la parole. Comme j’ai pu le faire antérieurement avec le concept d’émotion où j’avais estimé utile d’en faire une description phénoménologique avant de l’aborder sous l’angle neuroscientifique (Du Vague à l’âme, Episode n°3), et plus récemment avec le modèle d’action phénoménologique de la physiopathologie du TSPT (Les troubles du spectre traumatique, Episode n°9), je voudrais expliciter anthropologiquement et philosophiquement ce que j’entend par la parole, étant donné l’importance dominante de celle-ci dans l’interaction entre patient et psychiatre-psychothérapeute.
Pour se faire, je me propose de partager un article écrit en 2002 par moi-même avec l’aide d’une collègue[1].
Dans un article publié dans revue La Recherche du mois d’avril 2001, Robin Dunbar[2] propose que le langage aurait permis d’entretenir les liens sociaux et que c’est dans cette perspective qu’il faille rechercher la cause de son apparition. Dans le même numéro de la revue, un autre article écrit par Jean-Louis Dessales[3] justifie le rôle du langage en permettant l’affirmation des compétences informationnelles des individus. Dans un troisième article du même numéro, Michael Corballis[4] avance l’hypothèse que le langage a été précédé par une communication à base de signes manuels. Le scénario que nous allons défendre intègre les divers points de vue présentés dans La Recherche du mois d’avril 2001, mais propose plus fondamentalement que le langage a tout simplement permis à l’espèce Homo sapiens de survivre.
Si nous sommes la seule espèce animale à parler, c’est, si l’on accepte les conséquences des thèses darwiniennes aujourd’hui moins sujettes à caution, parce que notre espèce a trouvé cette astuce pour survivre malgré des particularités extrêmement défavorables comme nous allons le montrer.
Comme le rappelle Dunbar, le cerveau des primates est particulièrement volumineux en comparaison à celui des espèces à masses corporelles similaires, plus encore celui de l’homme[5]. Cette caractéristique ne peut être justifiée, comme les éthologistes le faisaient encore il y a quelques années, par un atout nécessaire à l’acquisition de nourriture dans les situations adverses. Comme écrit Dunbar, cette explication « sous-estime le coût biologique du développement et de l’entretien d’un gros cerveau ». Nous allons montrer que cette explication sous-estime principalement le risque d’autodestriction d’Homo sapiens par agressivité intraspécifique.
S’il existe bien une corrélation positive entre la proportion volumétrique dévolue au néocortex dans le cerveau des primates et la taille moyenne de leurs groupes d’appartenance[6], 150 pour l’homme contre 50 pour les grands singes les plus sociaux comme les chimpanzés et les babouins, cet hyperdéveloppement du cerveau humain doit trouver une explication biologiquement plausible. En d’autres termes, cet hyperdéveloppement ne doit pas seulement nous faire constater ses conséquences, une existence partagée avec un large groupe d’appartenance significative d’une forte complexité sociale, mais aussi concevoir ses causes probables. Par quelle nécessité biologique, le cerveau humain a-t-il évolué si radicalement ?
Comme nous venons de l’indiquer, Dunbar constate la forte corrélation entre la taille du néocortex et l’importance numérique des groupes d’appartenance. Chez les singes supérieurs appartenant à des groupes constitués d’une cinquantaine de membres, les activités d’épouillage, qui occupent environ 40% de leur temps de veille, assurent un lien social dont la fonction, toujours selon Dunbar, consiste à assurer la coopération nécessaire pour faire face collectivement aux prédateurs. Ces activités d’épouillage, à travers la libération d’opiacés endogènes (endorphines) qu’elles stimulent chez les individus épouillés, reconstituent en permanence la confiance interindividuelle nécessaire à la coopération.
L’efficacité de l’épouillage pour assurer la qualité d’un lien social fonctionnel est bien entendu insuffisante en ce qui est de l’espèce humaine. Pour assurer une cohésion sociale dans un groupe d’environ 150 personnes, toute la période de veille serait largement trop courte pour assurer les relations d’épouillage.
Mais où est la cause et où est l’effet ? Dunbar mesure et constate la corrélation entre la taille du néocortex et l’importance numérique des groupes d’appartenance, mais ne se positionne toutefois pas sur le sens de la relation de causalité entre les deux variables corrélées. Son inférence se limite à nous dire que dans des groupes primates de 50 individus l’épouillage est suffisant pour assurer un lien social qualitativement opérant, mais non plus dans un groupe de 150. Toujours selon Dunbar, chez l’homme, l’outil « d’épouillage » serait le langage. Quant à nous, nous pensons que l’homme parle, non pas parce qu’il vit à l’intérieur de grands groupes d’appartenance, mais bien pour une raison X qui lui permet et l’oblige à la fois de vivre en grand collectif.
La bonne question de départ est donc celle de la fonction du lien social et non pas seulement celle du moyen de l’assurer (le lien social) à l’intérieur de groupes d’appartenance plus ou moins grands. Comme déjà écrit plus haut, Dunbar identifie la fonction du lien social chez les singes supérieurs – la défense collective contre les prédateurs – mais ne dit rien de cette fonction dans l’espèce humaine, alors que par ailleurs il en propose l’instrument de production et de reproduction : le langage.
Avant de nous accorder avec Dunbar pour dire que le langage joue bien un rôle irremplaçable pour assurer le lien social dans l’espèce humaine, nous allons d’abord montrer quelle en est la fonction vitale. Nous acceptons l’avis des primatologues qui identifient la fonction du lien social chez grands singes à la coopération nécessaire à l’autoprotection du groupe contre les prédateurs, parce que cela nous paraît raisonnable et que nous n’avons pas les compétences primatologiques pour les réfuter. Par contre, lorsque nous parlons de l’homme, la fonction essentielle du lien social est autre, et, selon plusieurs auteurs que nous allons bientôt citer, en relation avec la gestion nécessaire de l’agressivité intraspécifique, beaucoup plus susceptible que n’importe quel prédateur de nuire substantiellement, sinon définitivement, à Homo sapiens.
Nous allons maintenant montrer pourquoi c’est bien l’agressivité intraspécifique qui représente le principal danger auquel doit faire face l’espèce humaine. Ensuite, nous verrons que la fonction du lien social est la prévention de la violence liée à l’agressivité intraspécifique. Pour terminer, nous montrerons l’incontournable nécessité de la communication et la meilleure efficacité du langage pour produire et reproduire le lien social.
C'est avec les recherches éthologiques sur les fonctions de l'agressivité intraspécifique que cette dimension du comportement a acquis droit de cité dans les sciences humaines et sociales[7]. Ces recherches ont mis en évidence que le comportement agressif intraspécifique a comme fonction primordiale la préservation et la conquête d'avantages qui profitent à la vie, sinon à l’espèce comme on le pensait jadis, du moins aux individus concernés[8]. Chez la quasi-totalité des espèces animales, l’agressivité intraspécifique est autolimitative et donc non susceptible de les mettre sérieusement en danger d’extinction. Tinbergen aura en particulier établi la quasi inoccurrence du meurtre à l'intérieur d'une même espèce animale, en s'empressant toutefois d'indiquer que l'espèce humaine fait malheureusement exception à la règle[9].
En milieu naturel, quand deux animaux d'une même espèce s'agressent, il est exceptionnel que le combat soit fatal pour l'un ou l'autre des adversaires grâce à la mise en œuvre d'inhibitions spécifiques ; au premier rituel de soumission d'un des deux combattants, l'agressivité du dominant se voit inhibée presque instantanément[10]. La violence interspécifique, qui se termine régulièrement par la mort de l'adversaire, est en général quant à elle dénuée d'affect à l'encontre de la victime, réduite intégralement à sa dimension alimentaire. Un chat ne reconnaît pas une souris pour ce qu'elle est en tant qu'individu mais pour ce qu'elle représente comme source alimentaire. Leur interaction n'est pas recherche de rivalité. Quand, par contre, un animal est agressif à l'encontre de l'un de ses congénères, l'agression est reconnaissance du rival[11] et appel à la reconnaissance réciproque de non-appropriation d'un territoire, d’une progéniture, d'une proie, etc.
Sauf accident, la fonction de l'agressivité intraspécifique n'est donc pas lytique. Elle n'a pas pour finalité la mort de l'adversaire, mais la communication d'une information dont l'acquisition par le récepteur, motivé par la violence de l'émetteur, aura un impact protecteur sur ce dernier. L'espèce humaine fait très largement exception à cette règle. Dans son développement phylogénétique, elle s'est révélée particulièrement inapte à gérer sa propre agressivité. Principalement à cause de l'acquisition de l'objet de médiation de l'agressivité (le bâton, la pierre, l'arme en général), elle n'aura pu contenir la gravité de la violence que les relations interindividuelles génèrent du fait de l'instinct d'agressivité. En effet, à partir du moment où l'agressivité chez l'homme se voit médiatisée par des armes, un décalage apparaît entre l'efficacité meurtrière de ces dernières et les mécanismes inhibiteurs de l'agressivité. Par la vitesse qu'elle permet dans l'exécution de la violence, l'utilisation de l'arme ne laisse pas le temps nécessaire à l'agressé pour l'adoption de conduites instinctives d'inhibition de la violence chez l'agresseur, en particulier les postures de soumission. Les armes, parce qu'elles permettent de tuer à distance, empêche aussi l'agresseur d'apercevoir ces mêmes conduites inhibitrices chez l'agressé. Si un sourire de ce dernier, ou un détournement de son regard, ont normalement un effet inhibiteur très net sur l'agresseur, ces gestes inhibiteurs de l'agressivité ne pourront opérer faute d'être perçus, parce que les adversaires ne sont pas à portée du regard, pourtant bien à portée d'une arme[12]. Les mécanismes inhibiteurs de la violence se voient court-circuités et expérimentent ainsi un retard phylogénétique par rapport au développement plus rapide de l'efficacité des armes. « La distance à laquelle les armes [...] sont efficaces, est devenue suffisamment grande pour que le tireur soit à l'abri des situations stimulantes qui, autrement, activeraient ses inhibitions contre le meurtre. Les couches émotionnelles profondes de notre personne n'enregistrent tout simplement pas le fait que le geste d'appuyer sur la gâchette fasse éclater les entrailles d'un autre humain. »[13]. L'utilisation des armes fait obstacle à l'effective réalisation émotionnelle de ce que les hommes engagent en réalité quand ils se font violence.
Nous pouvons donc dire que, chez Homo sapiens, l'instinct d'agressivité est, contrairement à l'animal, en possibilité de mettre en danger l'espèce. Pourquoi? Parce qu'il est, selon Lorenz, comme exagéré à la fois par 1) l'objet médiateur de l'agressivité - l'arme[14],[15], 2) une efficacité insuffisante des mécanismes phylogénétiques de l'inhibition de la violence et ... 3) une très forte disposition mimétique, sur laquelle nous allons maintenant insister.
Pour démontrer maintenant, comme nous nous le sommes proposés, comment la fonction du lien social est justement la prévention de la violence liée à l’agressivité intraspécifique, nous allons montrer que la disposition mimétique ne représente pas seulement un risque démesuré de violence comme nous venons d’en parler, mais aussi un élément essentiel à la production et à la reproduction du lien social.
Nous avons résumé le point de vue de Lorenz concernant l'instinct d'agressivité. Nous devons encore aborder avec lui celui du grégarisme, l'instinct grégaire, qui doit être - il nous semble - la base biologique du mimétisme. A l'intérieur de la bande grégaire, le mimétisme est tel que la synonymie est quasi parfaite entre tous les comportements individuels. Par contre, n'importe quel individu qui pour l'une ou l'autre raison modulera son comportement propre dans une orientation différente de celle de l'ensemble de ses congénères risquera fortement d'amorcer un nouveau comportement qui rapidement deviendra hégémonique, de marginal qu'il était. Erich von Holst a étudié ces raisons qui font qu'un comportement individuel marginal puisse amorcer un nouveau mouvement global. Lorenz rapporte ainsi l'expérience de son collègue : « Von Holst enleva a un petit poisson vairon la partie antérieure du cerveau, siège de toutes les réactions assurant la cohésion [à base mimétique] de l'essaim. Le vairon ainsi opéré voit, mange et nage comme ses congénères normaux. La seule propriété qui l'en distingue, c'est qu'il est parfaitement indifférent de perdre son essaim. Ce qui lui manque, c'est cette hésitation et inquiétude que montre un poisson normal qui, bien que désirant intensément nager dans une direction choisie, se retourne pourtant après quelques mouvements vers les autres membres du groupe et se laisse influencer par le fait qu'ils le suivent ou non. Au poisson décérébré de von Holst, tout cela était parfaitement égal. S'il apercevait de la nourriture ou pour n'importe quelle autre raison, il se mettait délibérément en marche, et voilà que tout l'essaim le suivait. Grâce à son infirmité, l'animal opéré était devenu le chef incontesté. »[16]
L'espèce humaine montre plus que toute autre une nette tendance au grégarisme et le mimétisme exacerbé dont elle fait preuve, parce qu'il s'applique aussi à la sphère de l'agressivité, aggrave fortement sa vulnérabilité. La survie humaine n'est donc possible que par la création et la réaffirmation dans l'ordre social d'inhibitions culturelles du mimétisme et de la violence intra-communautaire, vu l'incompétence engendrée par l'arme des mécanismes biologiques d'inhibition de l'agressivité intraspécifique. C’est bien là que nous avons à repérer la fonction du lien social. Mais il ne suffit pas de repérer la fonction, nous devons encore proposer un scénario explicatif de cette création sociale des mécanismes inhibiteurs de la violence.
En situation de crise majeure, cet instinct d'agressivité intraspécifique peut toutefois subir un acting-out dû à l'incompétence conjuguée des mécanismes biologiques et culturels inhibiteurs de la violence. Pour René Girard, le comportement particulièrement mimétique des humains en se projetant sur les objets de survie (la nourriture, un territoire, etc.) reproduit en permanence la rareté et son corollaire obligé, la crise sociale, voire aussi éventuellement son corollaire possible, la violence sociale[17],[18]. Cette peur de manquer du minimum indispensable risque à tout moment de pousser la communauté dans un délire de violence ou émerge le phénomène décrit comme du type "Tous [les uns] contre tous [les autres]"[19] et à travers lequel le collectif humain risque de se suicider.
De la même manière que l'instinct d'agressivité intraspécifique n'est pas qu'un problème et serait même globalement profitable si l’arme n’avait été inventée, l'instinct grégaire et le mimétisme ne représentent pas seulement un danger supplémentaire pour le groupe en situation de crise, mais aussi la possibilité de sorties résolutives, à savoir un élément essentiel à la production et à la reproduction du lien social comme nous avancions plus haut l’hypothèse.
En situation de crise majeure, et comme chez le poisson décérébré de von Holst, il se trouvera bien un individu marginal à l'agressivité particulièrement peu inhibée[20] pour imposer à tout le groupe une unique victime sur laquelle il s'acharnait et sur laquelle viendront s'acharner par mimétisme tous les autres individus. L'instinct grégaire permet ainsi de limiter les dégâts en substituant un "Tous contre un" à un fatal "Tous contre tous".
C’est la grande découverte de René Girard d’avoir montré comment la paix se rétablit via le retournement mimétique d'une foule qui transforme en bouc émissaire[21] une victime dont le sacrifice assure une période de paix à la communauté qui se ressoude à ses dépens, voire qui se constitue à la faveur de l'événement. Le sacrifice unanime du bouc émissaire interrompt ainsi le cercle vicieux de la violence. C'est donc la même disposition grégaire et mimétique qui à la fois décompose les structures de la communauté et déclenche le mécanisme du bouc émissaire qui lui assure sa recomposition. C’est donc à cette disposition mimétique que nous devons, non seulement le risque d’éclatement communautaire, mais aussi la recomposition du lien social.
Ce phénomène a lui aussi une base phylogénétique que les éthologistes ont bien étudiée. La tiers-victimisation remplit dans le règne animal diverses fonctions comme la résolution d'épisodes critiques, mais aussi de motivation d'autres comportements pulsionnels, tel que la recherche de partenaire sexuel. Boris Cyrulnik rapporte les observations de Ploog sur le recours à la mécanique victimaire chez des primates non humains[22]. « Ploog raconte la rencontre et la hiérarchisation de deux groupes de saïmiris, petits singes tropicaux à longue queue prenante. D'abord, ils déchargent une intense agressivité collective. Les femelles de haut rang crient, se menacent et se mordent. Les mâles se défient en violents duels. Finalement un des deux groupes se retire dans un coin et cède le terrain. Alors, dans le groupe des vaincus on assiste à des modifications de structures sociales. Les mâles se disputent et établissent entre eux une nouvelle hiérarchie. Puis, ils désignent parmi les mâles subordonnés celui qui servira de souffre-douleur. Le groupe des vaincus concentre son agressivité sur ce bouc émissaire qui rapidement va maigrir, altérer son état général, souffrir de ses blessures et parfois mourir. Mais par ce stratagème les autres mâles du groupe vont pouvoir abaisser leur tension, décharger leur agressivité qu'ils n'osaient plus orienter sur les vainqueurs et se sentir de nouveau dominants par rapport à ce singe bouc émissaire dominé. Leur moral remonte, le groupe vaincu s'apaise et la sexualité reprend ». En ce qui concerne la motivation d'autres comportements instinctifs comme celui du rut, Irenaüs Eibl Eibesfeldt rapporte ainsi une observation de Konrad Lorenz : « un jars commence par lancer une attaque réelle ou simulée contre quelque congénère ou des humains sur la rive, puis retourne à celle qu'il a choisie et l'accueille avec un cri de triomphe. Il renouvelle ce manège jusqu'à ce que la femelle, consentante, lance le même appel. Des attaques simulées contre un voisin quelconque suivies par le cri de triomphe renforcent ultérieurement le lien avec le partenaire »[23].
C'est le rite du bouc émissaire décrit par René Girard, le "Tous contre", qui réussit - il nous semble - ce que Lorenz appelle « la tâche pratiquement impossible d'empêcher que l'agression intraspécifique nuise sérieusement à la conservation de l'espèce, sans que pour autant ne soient éliminées ses fonctions indispensables dans l'intérêt de l'espèce »[24]. Le "Tous contre un" met donc momentanément un terme à la crise en interrompant le geste d'agression du "Tous contre tous".
Si l’humanité a pu se protéger de l’autodestruction en créant un lien social construit sur la mécanique victimaire, nous devons encore montrer le besoin de communication et la grande efficacité du langage pour produire et reproduire ce lien social. Ici encore, c’est à René Girard que nous allons faire appel, en intégrant maintenant une dimension rituelle à notre explication.
Une autre grande intuition de Girard l’a conduit à faire l’hypothèse que le geste d'agression interrompu pour se limiter à une unique victime est devenu le geste de désignation et de représentation, le joker disponible à la diversité des signifiés. Toutefois, ce sont les résultats des recherches éthologiques qui nous permettent de tester cette hypothèse de Girard. Ce faisant, nous nous mettons en position de proposer un scénario possible de l’apparition du langage.
Pour comprendre comment un geste d'agressivité puisse donner naissance à un geste de communication, nous allons faire appel à Lorenz. Il écrit que « la déviation ou la réorientation de l'attaque est probablement l'échappatoire la plus ingénieuse que l'évolution ait inventée pour diriger l'agression vers des voies inoffensives »[25]. Ainsi, un geste d'agressivité de la part d'une cane est modulé par une esquisse de geste protectionniste de recherche de sécurité. Plus l'agressivité montera, plus déterminée aussi sera cette « force mystérieuse » qui la ramènera à l'espace de sécurité. La cane tadorne d'Europe, par exemple, si elle est face à son mâle, allonge tête et cou en arrière par-dessus son épaule pour menacer ses ennemis. La partie postérieure du corps sert au mouvement de fuite, la partie antérieure à l'agression. Son mouvement est alors une composition d'agression et de fuite. Cette composition se substitue au couple séparé dans le temps et dans l'espace des mouvements d'agression et de fuite. Lorenz parle dans ce cas de ritualisation de premier degré. Chez les canards de surface, le double mouvement agressivité-fuite de la cane se contracte en un mouvement pendulaire du cou qui va de la direction de l'ennemi à celle du mâle protecteur. On sent bien ici qu'une ritualisation plus poussée va conduire à un "oubli" de la signification originelle du double mouvement ; "oubli" qui ne manquerait pas si l'objet d'agressivité avait disparu. Ainsi, la cane du garrot à l’œil d'or nage derrière son mâle en faisant des mouvements du cou et de la tête, alternativement de droite en arrière et de gauche en arrière, et ceci malgré l'absence de toute menace. Il est évident à ce stade qu'on a de la peine à identifier ces mouvements comme des séquelles de mouvements couplés d'agression et de fuite si l'on n'en connaît pas les stades phylogénétiques intermédiaires. On parle alors de ritualisation de second degré. Au cours du processus phylogénétique sont donc apparus de nouveaux comportements instinctifs dont la forme imite le mode du comportement agression-fuite, mais dont la fonction s'en distingue. En mimant le comportement agression-fuite en l'absence d'ennemi, la femelle du garrot à l’œil d'or communique à son mâle sa disponibilité coïtale. La ritualisation donne ainsi accès à une nouvelle fonction, celle de la communication.
Admettons ainsi comme acceptable l'hypothèse qu'un geste d'agressivité puisse donner naissance à un geste de communication, puisse en définitive créer de la signification.
Chez les humains, pour que la parole puisse advenir, le phénomène de ritualisation doit atteindre un niveau tertiaire. Pour clarifier ce que nous entendons par ce nouveau concept de "ritualisation tertiaire", je vais me référer à une expérience de Cyrulnik[26]. Celui-ci a observé le comportement de jeunes enfants assis sur une chaise-bébé et placés en face d'un objet convoité mais hors de portée. Jusqu'à environ un an, l'enfant porte le regard dans la direction de l'objet, tend la main dans un geste de préemption, se met à crier comme il ne peut l'atteindre et finit par s'auto-agresser, par exemple en se mordant les mains. Ce geste désespéré de préemption est bien déjà un signe, mais reste fusionné au corps tendu de l'enfant vers l'objet de son désir. Après cet âge, la main tendue va finir par se refermer pour ne laisser que l'index tendu vers l'objet convoité, son regard ne se portera plus seulement sur cet objet mais aussi dans la direction de l'adulte présent dans la pièce. Cyrulnik parle du "stade du pointer du doigt" ou "stade de l’index". Avant ce stade, le niveau de communication de l'enfant n'était encore que du type de celui décrit plus haut chez la cane du garrot à l’œil d'or et qui procède d'une ritualisation secondaire. Contrairement au signe de communication élaboré tant par la cane de Lorenz que par l'enfant avant qu'il n'atteigne le stade de l'index, une fois cette étape de son développement franchie, le signe produit par l'enfant s'autonomise par rapport à son corps et la communication acquiert alors une fonction de désignation. Cette dernière étape précède l’acquisition du langage. Cette antériorité phylogénétique du geste manuel de communication par rapport au langage parlé[27] va dans le même sens que l’hypothèse de Michael Corballis que nous avons mentionné au début de notre article.
Après avoir développé plus haut l'hypothèse de Konrad Lorenz selon laquelle le geste de communication est en définitive une production du comportement agressif, et comment chez l'homme cette fonction de communication peut atteindre un niveau de désignation, nous pouvons nous référer encore une fois à René Girard pour indiquer comment, chez les humains, le geste violent de désignation de la victime émissaire est source d'une infinitude de significations[28].
L'expérience de la paix retrouvée au décours de phénomènes de type "Tous contre un" résolutifs de crise va amener les groupes humains à reproduire rituellement le phénomène mimétique non plus seulement pour mettre un terme à une crise, mais aussi pour en bénéficier indépendamment. A l'instar de la cane de Lorenz qui n'exécute plus le mouvement de rituel qu'en absence d'ennemi, les groupes humains vont aussi reproduire le rituel de résolution de crise en dehors du contexte critique. Et comme pour la cane du garrot à l’œil d'or, pour lui donner de la signification.
Selon Girard, l'exclusion-exécution de la victime émissaire vécue dans l'inconscience du mécanisme mais toutefois représentée, est la source du sacré, de la culture et de toutes les institutions humaines, en synthèse du lien social. La représentation est nécessaire parce que « l'événement fondateur ne fonderait rien sans la représentation, car sa présence même n'est que destruction. La première victime n'est qu'un cadavre jusqu'à ce qu'on la sacre divinité en la "représentant", ne serait-ce que par un geste effarouché qui la désigne à la contemplation collective sans qu'il soit question pour personne de se l'approprier à son usage personnel »[29].
« Une infinitude de significations » (cf. note 28) s'ébauchent ainsi à partir de la victime émissaire. Parce qu'elle est à la fois pacifique et violente, bonne et mauvaise, la victime émissaire se constitue en signifiant transcendantal.
Afin de pérenniser la réconciliation amorcée par l'acte sacrificiel, les hommes vont s'attacher à reproduire ce signe ; c'est-à-dire, d'après Girard, à pratiquer le langage du rituel et du sacré, à pratiquer le langage tout simplement. L'échange de paroles a dû s'élaborer à partir de l’expression audible de la surprise et de l’étonnement[30] qui accompagnent la crise mimétique et que le rite reproduit en dehors du contexte critique. Ces cris ont dû se rythmer[31] face au spectacle du sacrifice puisque c'est dans un esprit de collaboration mimétique que toutes les dimensions de la crise sont figurées.
Le langage ne s’est toutefois pas autolimité à la sphère du sacré. En raison de sa générativité[32], il est devenu l’instrument majeur de communication dans tous les domaines de la vie humaine en dépassant les strictes nécessités de production et reproduction du lien social. C’est ce que nous allons maintenant développer.
Pour Girard, « le signifiant, c'est la victime. Le signifié, c'est tout le sens actuel et potentiel que la communauté confère à cette victime et, par son intermédiaire, à toute chose. Le signe c'est l'acte sacrificiel »[33],[34]. Pour comprendre cette proposition de Girard un détour par d'autres auteurs nous sera nécessaire une fois encore.
Tout signe[35] comporte deux versants, l'un sémiotique est sensible, l'autre sémantique est intelligible. Le signifiant est ainsi la partie du signe qui est sensible (perceptible, visible, audible), tandis que le signifié en est la partie intelligible (cachée, immatérielle, mais qui fait sens). Ces deux dimensions sont nécessaires pour que le signe puisse efficacement indiquer le référent auquel il se rapporte. Si nous disons « laporte », notre interlocuteur devra comprendre si nous lui demandons de fermer la porte, ou de sortir de la pièce, ou si nous faisons seulement référence à l'objet même de la porte, ou plutôt encore si nous parlons de notre collègue le Dr Laporte. Le signifiant ne suffit donc pas, le signifié est lui aussi indispensable à la compréhension.
La communication ou la production du signifié se développe le long des deux lignes sémantiques - de similarité ou de contiguïté - bien décrites par les linguistes. Dans le premier cas de figure, via une modification minimale du contenu sémantique ou bien sémiotique[36], un signifiant est substitué à un suivant, lui-même à un troisième, etc. La métaphore[37] met ainsi de plus en plus de figural là où se trouvait du propre. Pour Lacan, la métaphore est substitution signifiante, substitution de signifiants. On se rappelle le signifiant métaphorique S' qui fait passer l'ancien signifiant S ainsi que le signifié s qui lui est associé sous la barre de la signification, faisant perdre son évidence au rapport entre signifiant métaphorique et signifié[38]. La distance ainsi créée entre signifiant et signifié ouvre un espace disponible pour une nouvelle greffe de signification. Dans son jargon, Lacan écrit qu' « il faut définir la métaphore par l'implantation dans une chaîne signifiante d'un autre signifiant, par quoi celui qu'il supplante tombe au rang de signifié et comme signifiant latent y perpétue l'intervalle ou une autre chaîne signifiante pour y être entée »[39]. La signification originaire est ainsi comme oblitérée, exilée du sens propre. Dans le second cas, par un mécanisme de contiguïté, un signifiant va subir des modifications sans cette fois s'écarter définitivement de son sens original, sans donc engendrer de signification nouvelle, sans engendrer d'intervalle comme aurait dit Lacan. Par exemple, les êtres humains seront dits "les hommes" (une partie au lieu de l’ensemble des hommes et des femmes) ou même encore désignés comme "les mortels". On est ici dans le contexte de la métonymie[40].
Le geste d'agression centré sur la victime émissaire devient le geste de communication (ritualisation secondaire), voire de désignation et de représentation (ritualisation tertiaire). Il est le signifiant fondamental, le joker disponible à la diversité des signifiés. Lorsque l'événement victimaire - voire l’acte sacrificiel - se passe sans que la communauté n'accède à sa signification, le premier signifiant emprunte alors le chemin de la métaphore pour ouvrir une nouvelle voie de signification déliée de la victime émissaire. En empruntant un chemin métonymique, le signifiant aurait pu dire son sens à travers l'interdit de la violence mimétique qu'appelle la souffrance de la victime[41]. Cet interdit est contigu au geste violent et mimétique d'appropriation avorté par la peur de la violence-même. L'interdit est le geste-même, mais dévié. A la différence d'une infinité de signifiés qui se constituent « métaphoriquement » dans un processus de ritualisation qui prend son origine dans la victime émissaire et s'en éloignant de plus en plus, l'interdit de la violence s'interposerait entre l'agresseur et la victime pour bloquer tout processus de ritualisation. La fondation culturelle de l'interdit ne prendrait donc pas son origine à partir du meurtre de la victime émissaire, mais bien à partir de la négation de celui-ci. Si l'homme reste sourd à la loi de l'interdit, c'est-à-dire au sens premier de son geste - c'est la peur qui le rend sourd, et c'est son non-accès à la Loi qui l'angoisse -, son geste reste alors conflictuel et s'y substitue un autre geste similaire mais non-décentré de la victime émissaire.
Selon Girard, il n'y a pas de signification, de représentation, qui ne s'ébauche à partir de la victime émissaire et qui ne paraisse en même temps transcendée par elle. Ce premier signifiant est un signifiant pur dépourvu de signification en rapport avec la violence réelle qui lui donne naissance. Il est réellement disponible à tous les signifiés possibles. Lacan appelle phallus le signifiant fondamental, tout en précisant qu'il est métaphore du manque à être. Et selon lui, la métaphore est liée à la question de l'être et la métonymie à son manque[42],[43]. Il me semble ainsi qu'un schritt zurück (le "pas qui rétrocède" chez Heidegger) dans la chaîne des signifiants peut légitimement nous conduire à la victime émissaire de Girard.
La représentation peut être fonctionnelle pour faire entendre la Loi, ou sinon, c'est-à-dire si la dénégation violente de la violence prend le dessus, cette même représentation sera fonctionnelle pour engendrer la culture « de notre monde ». Dans le premier cas la représentation fonctionne de façon métonymique, dans l'autre de façon métaphorique, organisant le transport (metaphora) vers un ailleurs, « notre » monde.
En empruntant la voie métaphorique, le signifiant victimaire va conditionner l'ensemble des signifiés. Comme chez les canards, la direction métaphorique que fait prendre aux choses la ritualisation fait que s'accroît toujours la distance entre signifiant et signifié. L'expérience de la paix qui se restaure via le sacrifice du bouc émissaire (perçu alors comme unique principe organisationnel), via le mimétisme de tous contre un, amène à sélectionner le rituel parmi tous les comportements sociaux probables dans le champ de la gestion nécessaire de la violence. Au départ le rituel tue vraiment, ensuite par un phénomène de l'ordre l'instigation, le rite devient imitation du sacrifice humain dans le sacrifice d'animaux (domestiques le plus souvent car comme "humanisés" par l'homme), puis seulement image de sacrifice (idole), rituel ritualisé, et enfin, la parole qui s'est imposé comme l'instrument dominant de la communication humaine.
Si le dire trouve son origine dans l'occultation du cri de la victime émissaire, l'interdire par contre est reconnaissance de l'autre en son altérité. Kortmulder, cité par Konrad Lorenz, a montré la nécessité pour toute culture humaine d'interdire la violence interne aux groupes communautaires, de manière plus déterminée encore que chez les autres mammifères supérieurs. Chez ces derniers, il s'agit davantage d'une sorte de principe d'ordre plutôt que d'un interdit à proprement parler. Lorenz a bien décrit ce principe d'ordre protecteur de l'espèce : « Chaque individu d'une société sait lequel de ses compagnons vivant dans la même société est plus fort ou plus faible que lui-même. Il peut donc se retirer sans combat devant le plus fort et s'attendre, d'autre part, à ce que le plus faible se retire sans combat devant lui, lorsque l'un ou l'autre croisent son chemin »[44]. Face au risque d'autodestruction sociale (et de l'expérience de la disparition de certains groupes humains) et de l'efficacité insuffisante des inhibitions instinctuelles, des conduites préventives de contrôle social de la violence se sont imposées plus fortement encore que chez toute autre espèce mammifère. Ces conduites préventives ont pris la forme d'interdits qui se sont avérés efficaces pour empêcher ou du moins raréfier la violence intra-communautaire. L'interdit de la violence intra-communautaire – l’élément central du lien social – a dû s'imposer suffisamment rapidement comme mécanisme d'inhibition culturelle de la violence pour permettre la survie de l'espèce humaine fragilisée par son processus d'hominisation accélérée.
Notes:
[1] Papart JP, Heggerickx I. Pourquoi parlons-nous ? L’autre, Cliniques, cultures et sociétés, Vol. 3, nº1, 95-108, 2002. ISSN 1626-5378 ISBN 2859191755.
[2] R. Dunbar, Le langage crée le lien social, La Recherche, 341, p. 27-31, Avril 2001.
[3] J.-L. Dessales, L’origine politique du langage, La Recherche, 341, p.31-35, Avril 2001.
[4] M. Corballis, L’origine gestuelle du langage, La Recherche, 341, p. 35-39, Avril 2001.
[5] H. Jerison, Evolution of the Brain and Intelligence, Academic Press, New York, 1973.
[6] R. Dunbar, Journal of Human Evolution, 22, 469, 1992.
[7] K. Lorenz, L’Agression - Une histoire naturelle du mal, Flammarion, Paris, 1969.
[8] A. Demaret, Modèles éthologiques des troubles alimentaires. In M. Elkaïm et E. Goldbeter (éd): Anorexie et boulimie. Modèles, recherches et traitements. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux. N°16. De Boeck Université. Bruxelles, p. 59, 1996.
[9] N. Tinbergen, Study of instinct, Clarendon Press Ed., Oxford, 1951.
[10] I. Eibl Eibesfeld, Liebe und Hass, R. Piper & Co, München, ch. 5, 1970.
[11] L'agressivité intraspécifique est recherche de rival, comme la faim est recherche de nourriture ou le rut recherche de partenaire.
[12] I. Eibl Eibesfeld, Liebe und Hass, R. Piper & Co, München, ch. 6, 1970.
[13] K. Lorenz, L’Agression - Une histoire naturelle du mal, Flammarion, Paris, p. 257, 1969.
[14] Il est démontré que la seule vue d'une arme est suffisante pour déclencher l'agressivité.
[15] L. Berkowitz, Seeing a gun can trigger aggression, Sci J, April, 9, 1968.
[16] K. Lorenz, L’Agression - Une histoire naturelle du mal, Flammarion, Paris, p. 160, 1969.
[17] R. Girard, La violence et le sacré, Gallimard, Paris, 1971.
[18] R. Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde, Gallimard, Paris, 1978.
[19] Cette expression de "guerre de tous contre tous" a été utilisée pour la première fois par Hobbes dans son Leviathan (Part.I, ch.13).
[20] A l'instar de la plupart des caractéristiques biologiques d'une même espèce, l'agressivité humaine est elle aussi distribuée de façon gaussienne.
[21] Bouc émissaire vient du latin caper emissarius (Vulgate), traduction trop libre du grec apopompaios qui signifie « ce qui écarte les fléaux ». Sa fonction est bien définie dans la Torah : « Aaron posera ses deux mains sur la tête du bouc vivant, et confessera sur lui toutes les iniquités des fils d'Israël et toutes leurs transgressions, selon tous leurs péchés ; il les mettra sur la tête du bouc, et l'enverra au désert par un homme qui se tiendra prêt [pour cela] ; et le bouc portera sur lui toutes les iniquités dans une terre inhabitée, ... » (Lv 16, 21-22).
[22] B. Cyrulnik, Mémoire de singe et paroles d’homme, Hachette, Paris, p.262, 1983.
[23] I. Eibl Eibesfeld, Liebe und Hass, R. Piper & Co, München, ch. 7, 1970.
[24] K. Lorenz, L’Agression - Une histoire naturelle du mal, Flammarion, Paris, p.121-122, 1969.
[25] K. Lorenz, L’Agression - Une histoire naturelle du mal, Flammarion, Paris, p. 67, 1969.
[26] B. Cyrulnik, La naissance du sens, Questions de Sciences, Hachette, Paris, p. 54-56, 1995.
[27] Le principal avantage concret du langage oral sur le langage gestuel est de permettre de libérer les mains afin de communiquer tout en gardant les mains libres pour d’autres activités que la communication.
[28] Nous préférons écrire « une infinitude de significations » plutôt que « la source de toutes significations » comme le dit Girard, convaincu que nous sommes par la position de Lucien Scubla. (Voir 'Contribution à une théorie du sacrifice', in 'Girard et le problème du mal', Seuil.)
[29] E. Gans, Le Logos de René Girard in René Girard et le problème du mal, Seuil, Paris, p. 188, 1980.
[30] Dans son article publié dans La Recherche (n°341, avril 2001), Jean-Louis Dessales écrit : « … nous communiquons spontanément notre surprise devant des faits ou des événements inattendus. Comme le langage, ce réflexe émerge très tôt, vers l’âge de 1 an, dans le développement humain, et il semble universel : aucune culture n’a été décrite dans laquelle les événements incongrus ne feraient pas l’objet d’un acte de communication ». Dans l’épisode n°9 des Troubles du spectre traumatisme, nous avons évoqué l’importance de la surprise et nous y reviendrons souvent dans la présente série.
[31] Un peu comme les applaudissements d'une salle lorsque ceux-ci se prolongent un tant soit peu.
[32] N. Chomsky, Réflexion sur le langage, Flammarion, Paris, 1981.
[33] R. Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, Paris, p.112, 1978.
[34] Afin de ne pas employer le mot victime déjà utilisé dans la définition du signifiant, il me paraît pertinent de définir le signe comme l'acte sacrificiel en respectant l'intention de René Girard. Il avait écrit : « le signe, c’est la victime réconciliatrice ».
[35] Du latin signum qui signifie marque, statue, sceau.
[36] Exemples présentés par A. Lemaire dans son livre 'Jacques Lacan' : Enseignement peut s'associer par le sens (signifié) à apprentissage et à éducation (substitution sémantique) et par le son (signifiant) à enseigner, renseigner ou à armement, chargement (substitution sémiotique).
[37] La métaphore (metaphora signifie transport) est un procédé par lequel on transporte la signification propre d'un mot à une autre signification qui ne lui convient qu'en vertu d'une comparaison sous-entendue (ex. la lumière de l'esprit, la fleur des ans, brûler de désir) [Petit Larousse].
[38] Personnellement, je trouve très malhonnête de Lacan de ne pas avoir déclaré la paternité intellectuelle – à savoir Konrad Lorenz – de cette compréhension entre signifiant et signifié.
[39] J. Lacan, Ecrits, Seuil, Paris, p.708, 1966.
[40] La métonymie (metônumia signifie changement) est un procédé par lequel on remplace un mot par un autre qui lui est uni par une relation nécessaire. On remplace par exemple l'effet par la cause, le contenu par le contenant, le tout par la partie, etc. (ex. Il vit "de son travail" pour "les fruits de son travail" ; "la ville" pour "les habitants" ». Les métonymies sont par ailleurs des synecdoques (sunekdokhê signifie compréhension simultanée) en ce sens que contrairement aux métaphores leur sens est directement évident.
[41] Pareillement, selon A. Lemaire, Lacan assimile signifiant à métaphore et signifié à métonymies.
[42] J. Lacan, Ecrits, L’instance de la lettre dans l’inconscient, Seuil, Paris, p.289, 1966.
[43] Lacan n’avait d’autre choix que de sauver le freudisme pour sauver son lacanisme.
[44] K. Lorenz, L’Agression - Une histoire naturelle du mal, Flammarion, Paris, p. 54, 1969.
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