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  • Dr Jean-Pierre Papart

Du Vague à l’âme (Episode n°11)



Si une menace sérieuse se confirme, le noyau ambigu (NA’) du tronc cérébral est mis en mode « off » et c’est alors le système nerveux autonome sympathique (SNS) qui prend le relais (Figure n°1). On a vu comment l’organisme se prépare à la fuite ou l’attaque : par une augmentation de la FC, de la TA et de la FR[1]. On observe aussi une hypersudation[2] et de la pâleur[3]. Il y a aussi maintien ou majoration de la sécrétion de cortisol.

 

Figure n°1 : Engagement sympathique de fuite ou attaque.


Dans l’état d’hyperstimulation sympathique, il y a retour d’information intéroceptive du corps vers le CIA qui s’active à son tour. Une hyperstimulation du CCA suit la stimulation du CIA. Une efférence de ce noyau vers CPFVM (AB25) va majorer encore davantage par feedback (+) la stimulation de LA.

 

Si la menace est trop grave, c’est le DVC qui prend le dessus à travers la mobilisation du DMX (Figure n°2). Le signal passe par le VLPAG qui est stimulé par des efférences en provenance du CE. Il en résulte une persistance et un approfondissement de la réaction initiale d’immobilité que devient figement (freezing), associé à une analgésie par absence de retour d’information au cortex insulaire[4]. Cette stimulation du VLPAG entraîne la mobilisation du DVC par stimulation efférente gabaergique du DMX. Du DMX part la branche dorsale efférente du nerf vague (dX) constitué de fibres efférentes viscéro-motrices parasympathiques cholinergiques de type C non myélinisées (lentes)[5].

 

Figure n°2 : Effondrement traumatique.


Par l’action gabaergique du VLPAG sur le LC et sur le NPB, il y a diminution de la FC, de la TA et de la FR avec hypo-oxygénation secondaire. Toutefois, la baisse de la saturation O2 peut aboutir à la syncope et même à la mort. Quand on meurt de peur, on meurt donc en diastole, c’est-à-dire quand le cœur est non vidé de sang, en raison d’une action parasympathique (provoquée par les efférences du DMX) et non pas sympathique. Lorsqu’on a expérimenté un tel état de freezing avec le risque mortel qu’il incombe, on apprend (inconsciemment) de cette expérience en baissant le seuil de mobilisation et d’hypervigilance pour ne pas risquer de se faire piéger une nouvelle fois. En abaissant ce seuil par inhibition du frein vagal, on pourra courcircuiter le DVC, mais en surinvestissant son SNS pour avoir recours de façon trop fréquente et inappropriée à la stratégie du fight/flight. Nous verrons dans la prochaine série (Les troubles du spectre traumatique) que ceci explique en grande partie le trouble de stress post-traumatique (TSPT).

 

Directement sous le contrôle du DMX, le figement du corps, son analgésie généralisée opioïde-dépendante et la réduction de la FC et de la FR permettent de mimer la mort, avec l’avantage lorsque le prédateur a sa proie entre les dents de possiblement l’abandonner par crainte d’un empoisonnement. Dans ce cas, il n’y a pas de dépassement du stade de l’immobilisation initial et le corps va se figer complètement et sur la durée. Il y aura aussi une dissociation dont l’avantage sera de courcircuiter la peur et la douleur. Cette dissociation est générée par une hypoactivation du CIA (principalement au niveau de l’insula droite) et secondairement du CCA. En cas d’absence d’activité du CIA, il n’y a pas d’activité non plus du CCA[6]. L’immobilisation entraîne automatiquement une inhibition des cortex insulaire et cingulaire et donc une dissociation salutaire de l’individu d’avec lui-même car il ne bénéficie alors plus de l’information intéroceptive lui signifiant l’appartenance de son corps. Cette inhibition du CCA entraîne par ailleurs une inhibition de l’aire de Broca (AB44 & AB45) avec comme résultat une peur muette[7]. En même temps que l’aire de Broca se désactive, l’aire AB19 du cortex sensitif visuel secondaire s’active fortement pour enregistrer l’image traumatique.

 

Figure 3 : A gauche : Vue latérale gauche / A droite : Vue sagittale droite.

 

Le DVC inhibe l’axe hypothalamo-hypophysaire avec comme conséquence une moindre sécrétion de cortisol. L’inhibition de la sécrétion de cortisol inhibe le système nerveux sympathique. Le DVC maintient le métabolisme gastro-intestinal par stimulation des récepteurs muscariniques du tractus digestif et vésical. En cas de surstimulation et pour faire face à un danger mortel éventuel, il pourra provoquer une exonération expéditive du contenu gastro-intestinal ainsi qu’une vidange de la vessie afin de réduire le plus possible toute demande métabolique. En cas d’anxiété chronique secondaire à un trouble de stress post-traumatique (TSPT ; cf. prochaine série Troubles du spectre traumatique), il va contribuer au maintien de diverses conditions pathologiques comme celle du côlon irritable.

 

Toutefois, cette expérience traumatique n’implique pas automatiquement l’incidence d’un TSPT. La réaction de la proie / de la personne victime de l’agression est saine en ce sens que si cette agression devait s’avérer mortelle, au moins la proie ou la victime pourrait mourir sans trop de peur ni de douleur. Par ailleurs, le comportement de freezing – encore appelé thanatose – est susceptible de provoquer le dégout du prédateur comme nous l’avons expliqué.


[1] Du Vague à l’âme, Episode n°4.

[2] Cette hypersudation permet à l’animal attaqué de glisser entre les pattes du prédateur et d’éviter au maximum que la peau ne se déchire sous les griffes de celui-ci.

[3] La pâleur signe une vasoconstriction périphérique qui réoriente le sang donc l’oxygène et le glucose vers là où le corps en a principalement besoin (cerveau, cœur, muscles).

[4] La nature fait bien les choses. En effet, au moment où le prédateur a le cou de sa proie entre ses dents, celle-ci pourra mourir sans douleur et sans peur (par absence de retour d’information à l’insula). En effet, si une IRM pouvait explorer la situation à ce moment on constaterait une hypoexcitation du complexe CIA-CCA. Cette hypoexcitation est à la base de la dissociation. La nature fait tellement bien les choses que la proie présentant tous les signes de mortalité (pas de réaction à la douleur en raison de l’analgésie, par de réaction de peur par inhibition du cortex intéroceptif, FC et FR très ralenties, …) va peut-être engager une émotion de dégoût chez le prédateur qui abandonnera la proie pour ne pas risquer l’empoisonnement possible à l’ingestion d’une bête morte.

[5] Du Vague à l’âme, Episode n°9.

[6] Le court-circuit du réseau CIA-CCA va inhiber la prise de conscience émotionnelle sous la forme du sentiment, donc inhibition de la conscience de la peur.

[7] C’est une des raisons pour lesquelles il faut éviter lors de l’anamnèse du patient de lui faire revivre son traumatisme et le reconfronter à son mutisme et donc à son sentiment d’immobilisation et d’impuissance avant d’avoir traité le rééquilibrage émotionnel. Nous verrons dans la prochaine série Les troubles du spectre traumatique que plusieurs métaanalyses portant sur la prévention primaire de l’ESPT ont montré l’inopportunité des cellules de débriefing au décours immédiat d’un événement à potentiel traumatique.

En résumé, le système nerveux autonome régule trois états physiologiques. Le niveau de sécurité détermine lequel des trois est activé en priorité. Chaque fois que l’on se sent menacé, on se tourne d’instinct vers le premier, celui de l’engagement social, en cherchant de l’aide et du réconfort dans son entourage (Episode n°10). Mais si personne ne nous apporte aide ou secours, ou si le danger est imminent, alors on revient à un mode de survie plus primitif : l’attaque ou la fuite (Episode n°11). Mais si l’adversaire est trop fort ou si nous sommes cloués au sol, alors notre organisme tentera de se préserver en se fermant au monde et en économisant son énergie, nous faisant vivre un état d’effondrement et de dissociation (Episode n°11).


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