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  • Dr Jean-Pierre Papart

Du Vague à l’âme (Episode n°4)

La réaction émotionnelle – Première partie


Nous avons vu dans l’épisode n°2 de cette série Du Vague à l’âme les toutes premières étapes du processus d’autoprotection face au danger, que celui-ci soit réel ou imaginaire.


Stimulus (n°1) – Sensation (n°2) – Perception (n°3) – Réaction émotionnelle (n°4)


Concernant ces premières étapes, l’une retient plus significativement notre intérêt, l’émotion, raison pour laquelle nous avons trouvé utile de présenter celle-ci d’abord sous l’angle phénoménologique (Du Vague à l’âme, Episode n°3) avant de l’aborder ici sous l’angle neuroscientifique.


Le stimulus est détecté par le thalamus qui relaie l’information sensorielle (visuelle, auditive, olfactive, gustative et algique) à l’amygdale[1] (Figure n°1), plus précisément au niveau de sa porte d’entrée, son noyau latéral (LA). Un stimulus engageant une sensation sera émotionnellement compétant (SEC) s’il permet d’atteindre un certain seuil de perception. Dans ce cas, il y a mobilisation émotionnelle. Le seuil de perception est atteint si le thalamus est significativement activé (Cf. Du Vague à l’âme, Episode n°2). Le noyau LA est indispensable au conditionnement appris – éventuellement traumatique – car il peut s’y opérer un couplage entre un stimulus inconditionnel (par exemple une décharge électrique sur les pattes d’une souris) et un stimulus conditionnel (par exemple un son). Dans cet exemple, un couplage opère uniquement si deux sons sont produits à deux moments différents dont l’un est couplé temporellement au choc électrique. Le couplage de conditionnement opère via une plasticité synaptique[2] permettant une potentialisation long terme (PLT) selon l’aphorisme de Donald Hebb : les neurones qui s’activent ensemble (pour l’audition et pour la douleur dans cet exemple) se connectent ensemble[3]. En résumé, on peut dire que le noyau LA est la structure-clé permettant l’apprentissage de la peur et sa mémorisation.


L’information émotionnelle est relayée au noyau LA par voie directe, rapide du thalamus à l’amygdale, nécessairement si le comportement exigé de protection doit être réflexe. L’information est aussi relayée par voie indirecte (via les régions sensorielles du cortex) à l’amygdale et permet – éventuellement mais pas systématiquement – une prise de conscience utile à une action délibérée grâce à la participation corticale. Dans les deux cas, le transfert de l’information se fait par voie glutaminergique. Une fois engrammée – via apprentissage et mémorisation – au niveau du LA, l’information va poursuivre sa route directement vers le noyau CE et indirectement en s’enrichissant d’informations intéroceptives via le noyau basal (BA) avant de rejoindre le noyau CE. Les transferts LA-CE et LA-BA se font par voie glutaminergique[4] et le transfert BA-CE, soit par voie gabaergique[5], soit glutaminergique.


Figure n°1 : La réaction émotionnelle


Le noyau BA reçoit des afférences du LA. Cette information sensorielle qui lui parvient est enrichie d’une information plus complexe, afférente de l’hippocampe, qui apporte une dimension contextuelle – une évaluation plus globale de la situation – susceptible de moduler, voire d’apaiser ou même d’inhiber la réaction émotionnelle (feedback négatif)[6]. Le BA reçoit aussi des afférences du cortex intéroceptif[7] et particulièrement de la structure de sortie de celui-ci, le cortex préfrontal ventromédian (CPFVM=AB25) dont le rôle informationnel a un impact modulateur complémentaire à celui de l’hippocampe. C’est au noyau BA que l’on tient d’avoir en général un état de calme car dès qu’un stimulus possiblement inquiétant est répété plusieurs fois sans conséquence problématique, le retour au calme s’impose rapidement, pour autant qu’hippocampe et cortex intéroceptif fonctionnent adéquatement, ainsi d’ailleurs que l’axe hypothalamo-hypophysaire-surrénalien (HHS)[8]. Dans ce cas, le BA envoie ses efférences vers le noyau CE par voie gabaergique. C’est le cas si l’information intéroceptive et contextuelle en provenance du BA est rassurante. Mais si, a contrario, l’information complémentaire transitant par le BA est plus alarmiste alors sa contribution majore la réaction émotionnelle et dans ce cas le transfert informationnel entre BA et CE se fait par voie glutaminergique (Figure n°1).


Figure n°2 : A gauche : Vue latérale gauche / A droite : Vue sagittale droite.


Lorsque l’information arrive au noyau de sortie de l’amygdale, le noyau central (CE), celui-ci va émettre plusieurs efférences vers le système nerveux autonome[9] sympathique pour déclencher la réaction émotionnelle.


Le CE envoie ses efférences et stimule par voie glutaminergique deux structures de l’éveil et de la motivation émotionnelle majorant l’attention : le locus coeruleus (LC) et le noyau parabrachial (NPB).


La stimulation du LC, situé dans la partie supérieure du tronc cérébral (à cheval entre le mésencéphale et le pont), permet un renforcement attentionnel à travers une sécrétion majorée de noradrénaline (NA)[10]. La sécrétion majorée de noradrénaline va assurer une augmentation de la fréquence cardiaque (FC) et de la tension artérielle (TA) afin d’augmenter la vigilance du corps et le préparer à faire face au danger ou sa menace. Pour que l’oxygène et le glucose soient suffisamment disponibles pour les organes engagés dans l’action de défense (le cerveau, le cœur, les muscles), le sang va se retirer de la peau provoquant de la pâleur et du tube digestif entraînant une inhibition péristaltique. L’action neurotransmettrice de la NA se réalise via l’interaction avec les récepteurs distribués dans tout le cerveau[11] et en particulier au niveau du thalamus où elle amplifie l’attention, au niveau de l’amygdale où elle amplifie la réaction émotionnelle et au niveau de l’hippocampe où elle stimule la mémoire – l’ancrage mémoriel – en lien avec les états émotionnels liés à la peur en particulier. La NA va encore majorer l’ouverture des pupilles (mydriase) et l’ouverture des narines afin d’accroître la quantité d’information visuelle et olfactive susceptible de nous permettre d’identifier la cause du danger. La NA va aussi stimuler les synapses du cortex intéroceptif pour une meilleure évaluation du danger, c’est-à-dire une transmission supérieure et plus qualitative d’information. Cette transmission majorée d’information va déterminer un niveau supérieur d’inférence, en d’autres mots, permettre de meilleures prédictions bayésiennes pour identifier la ou les causes des sensations et ainsi rétroagir adéquatement.


Le NPB, situé dans la partie moyenne du tronc cérébral – le pont – va mobiliser les neurones efférents du système nerveux (ortho)sympathique (SNS) qui traversent la moëlle spinale avec comme conséquence une augmentation de la fréquence respiratoire (FR) et une dilatation des bronches afin d’augmenter la vigilance du corps en lui apportant le surcroît d’oxygène nécessaire à une possible action de protection face au danger (autre source d’apport énergétique). L’augmentation de la FR est assez aisément ressentie et peut participer à la mobilisation de la conscience via cette stimulation intéroceptive, c’est-à-dire une remontée d’information bottom-up vers le cortex intéroceptif.



[1] L’amygdale cérébrale est située dans la région antéro-interne du lobe temporal. Son rôle premier est de décoder les stimuli qui pourraient s’avérer menaçants. Elle est impliquée dans le traitement motivationnel des stimulus à valence négative (dangers) mais aussi positive (plaisirs). Elle comprend plusieurs noyaux dont 3 vont nous intéresser, le noyau latéral (LA), le noyau basal (BA) et le noyau central (CE). Embryologiquement ce dernier est d’origine striatale et les deux premiers d’origine corticale. Nous pouvons comparer métaphoriquement l’amygdale à un détecteur de fumée, à une alarme, une "amygdalarme". Les noyaux LA et BA sont les portes d’entrées où aboutissent des afférences sensorielles et intéroceptives et le CE, sa porte de sortie, est engagée dans la réaction émotionnelle.

[2] La plasticité est la capacité des neurones d’être modifiés par l’expérience (Jerzy Konorski).

[3] When an axon of cell A is near enough to excite B and repeatedly or persistently takes part in firing it, some growth process or metabolic change takes place in one or both cells such that A’s efficiency, as one of the cells firing B, is increased (Hebb D.O. The Organization of Behavior: A Neuropsychological Theory, Wiley: New York, 1949).

[4] Le glutamate est le principal neurotransmetteur (= molécule qui traverse les espaces synaptiques pour stimuler les neurones en aval) excitateur du cerveau. Biochimiquement c’est un acide aminé. Son effet excitateur opère en se fixant sur les récepteurs au glutamate qui sont de deux types : AMPA et NMDA. Le complexe récepteur au glutamate – glutamate ouvre des canaux ioniques transmembranaires et permet ainsi l’entrée de cations Na+ pour les récepteurs AMPA et Ca++ pour les récepteurs NMDA dans les neurones pour les positiver électriquement, les faisant passer de -60 mv à +40 mv, augmentant ainsi la probabilité du potentiel d’action. La plasticité synaptique (LTP) opère ainsi : les vésicules de glutamate (premier messager) du premier neurone vont se vider dans l’espace synaptique et aller se fixer sur les récepteurs AMPA du neurone post-synaptique. Ces récepteurs vont alors permettre l’entrée de davantage de cations Na+ que de sortie de cations K+, ce qui va positiver l’intérieur du second neurone et ainsi déclencher un potentiel d’action le long de l’axone de ce dernier. Si, à ce moment, un autre stimulus en provenance d’un autre neurone arrive, la stimulation juste antérieure des récepteurs AMPA stimulera alors les autres récepteurs au glutamate, les NMDA, normalement bloqués dans leur canal transmembranaire par des cations Mg++ empêchant l’entrée des cations Ca++ (second messager). La stimulation secondaire des récepteurs NMDA va faire entrer massivement du Ca++ ce qui assurera le renforcement synaptique, sa plasticité et la potentialisation long terme (LTP), soit le phénomène de mémorisation.

[5] L’acide gamma-amino-butyrique (GABA) est le principal neurotransmetteur inhibiteur du cerveau. C’est aussi un acide aminé obtenu par décarboxylation (retrait d’un groupe -CO2) du glutamate. En se fixant sur ses récepteurs, il va ouvrir des canaux ioniques et faire entrer des anions Cl- dans les neurones augmentant ainsi la négativité électrique intracellulaire autour de -80 mv, diminuant la probabilité du potentiel d’action. Le GABA protège le cerveau d’une hyperexcitation.

[6] Le rôle de l’hippocampe sera développé dans l’épisode N°8 Du Vague à l’âme.

[7] Le rôle du cortex intéroceptif sera présenté dans l’épisode N°7 Du Vague à l’âme.

[8] Le rôle de l’axe HHS sera présenté dans l’épisode N°6 Du Vague à l’âme.

[9] Le système nerveux comprend le système nerveux central (cerveau et moëlle spinale) et le système nerveux périphérique. Le système nerveux périphérique comprend le système nerveux somatique (contrôle par les nerfs périphériques de la musculation volontaire, du toucher et de la proprioception) et le système nerveux autonome (homéostasie, régulation des organes et des fonctions métaboliques). Le système nerveux autonome (SNA) comprend le système nerveux (ortho)sympathique (SNS) et le système nerveux parasympathique (SNP) avec deux composantes : vagale ventrale et vagale dorsale.

[10] La noradrénaline (NA) est une monoamine catécholaminergique neurotransmettrice (= molécule qui traverse les espaces synaptiques pour stimuler les neurones en aval) et neuromodulatrice (= molécule hormonale produite dans une structure organique, sécrétée dans la circulation plasmatique et active à distance). Son rôle neuromodulateur signifie sa capacité à moduler à la hausse ou à la baisse l’action des neurotransmetteurs glutamate et GABA). La NA est produite dans le LC (double action neurotransmettrice et neuromodulatrice), ainsi que par les neurones des fibres postganglionnaires du SNS (mono action neurotransmettrice), et encore un peu par la médullo-surrénale (mono action neuromodulatrice) qui produit surtout de l’adrénaline. A partir du LC, les axones noradrénergiques s’étendent à tout le cerveau. Son action est globale en facilitant le système d’action en augmentant le niveau de vigilance. Ainsi, le LC décharge particulièrement au moment du réveil, beaucoup moins pendant le sommeil lent et pas du tout en sommeil paradoxal. La NA est synthétisée à partir d’un acide aminé, la tyrosine, un acide aminé non essentiel car synthétisé par l’organisme à partir d’un autre acide aminé, la phénylalanine, qui lui est essentiel car doit être apporté à l’organisme par l’alimentation. Au niveau du foie, la phénylalanine subit une première hydroxylation (ajout d’un groupe -OH) par la phénylalanine hydroxylase pour former la tyrosine. Grâce à son groupe hydroxyle, la tyrosine est hydrophile et passe dans le sang pour rejoindre et franchir la barrière hémato-encéphalique grâce à une pompe. Une fois dans les neurones du cerveau, la tyrosine va être hydroxylée une nouvelle fois en dihydroxy-phénylalanine (DOPA), ensuite décarboxylée (retrait d’un groupe -CO2) en dopamine (DA), ensuite réhydroxylée en noradrénaline (NA).

[11] Le mode d’action des catécholamines, NA et adrénaline (A), en particulier leur interaction avec les récepteurs des cellules effectrices, sera présenté dans l’épisode N°5 Du Vague à l’âme.

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