Le cerveau du médecin doit lui aussi être bayésien
Au dernier paragraphe de l’épisode n°3 de cette série sur Le cerveau bayésien, je mentionnais que le raisonnement probabiliste – plus précisément bayésien – nous sert à inférer une cause à partir d’un effet et ce à partir d’un certain modèle du monde. Pour le médecin, le modèle du monde est le modèle théorique de la maladie. J’ajoutais que là était la base du raisonnement hypothético-déductif, celui de mise pour faire un diagnostic médical. Dans cet épisode je vais présenter la mathématique bayésienne appliquée à l’inférence du diagnostic médical, ou comment d’un effet (information anamnestique, symptômes ou signes identifiés, résultats d’examens complémentaires et autres tests diagnostiques) on en infère la cause probable (diagnostic). Je viendrai ultérieurement sur le raisonnement hypothético-déductif.
Il va vous être proposé un exercice d’interprétation d’un test diagnostic. L’exercice est purement fictif et même s’il donne à penser qu’il s’agirait de la recherche de sang occulte dans les selles pour dépister un cancer du côlon, je n’ai pas construit cet exercice en me basant sur les données épidémiologiques spécifiques disponibles. L’objectif est ici purement pédagogique. La raison ultime de cette présentation est que dans toutes les réflexions que je vous partage et vous partagerai dans ce bloc, il y a pour moi la conviction grandissante, que toutes les maladies ou problèmes qui nous sont soumis comme psychiatres par nos patients peuvent se résumer à des erreurs de calculs bayésiens (cf. l’épisode n°1 de cette série).
Prenez un papier et un crayon et indiquez votre réponse.
0.3% des adultes de 60 ans sont atteints d'un cancer colorectal. La moitié de ces cancers peuvent être détectés par un test. Il y a 3% de chances que le test s'avère positif chez une personne qui n'a pas le cancer. Si le test est positif, quelle est la probabilité que la personne ait effectivement un cancer ?
Votre réponse : …… / …... = …. %
Si nous présentons les choses de façon plus naturelle, est-ce plus simple ?
Sur 10000 personnes de 60 ans et plus, 30 ont un cancer colorectal. Sur ces 30 qui ont un cancer, la moitié, soit 15, auront un test positif. Sur les autres 9970 qui n’ont pas le cancer, 3% auront un test positif, soit 299. Parmi un échantillon de gens qui ont un test positif, quelle et la proportion de celles qui ont vraiment le cancer ?
Votre réponse : …… / …... = …. %
Autre façon de dire les choses et de poser la question :
La prévalence du cancer colorectal chez les plus de 60 ans est de 0.3% (0.003). La sensibilité (= 1 – Faux négatifs) du test de dépistage est de 50%. La spécificité (= 1 – Faux positifs) du test est de 97%. Quelle est la valeur prédictive positive du test ?
Votre réponse : …… / …... = …. %
Si nous présentons les choses sous la forme d’un tableau 4x4, quelle est la valeur prédictive positive du test ?
| B (maladie) | B (pas de maladie) | B + B |
A (Test positif) | 15 | 299 | 314 |
A (Test négatif) | 15 | 9’671 | 9’686 |
A + A | 30 | 9’970 | 10’000 |
Votre réponse : …… / …... = …. %
| B | B | B + B |
A | 15 (VP) (1) | 299 (FP) (2) | 314 (VP+FP) (3) |
A | 15 (FN) (4) | 9'671 (VN) (5) | 9'686 (FN+VN) (6) |
A + A | 30 (VP+FN) (7) | 9'970 (FP+VN) (8) | 10’000 (9) |
VP = vrai positif / FP = faux positif / VN = vrai négatif / FN = faux négatif
9 indicateurs peuvent être calculés :
Indicateur | Calcul | Résultat |
Prévalence de la maladie = P(B) | (7) / (9) | 0.0030 |
Sensibilité du test = Vrai (+) = P(A/B) | (1) / (7) | 0.5000 |
Spécificité du test = Vrai (-) = P(A/B) | (5) / (8) | 0.9700 |
Faux (+) = P(A/B) = 1 - spécificité | (2) / (8) | 0.0300 |
Faux (-) = P(A/B) = 1 - sensibilité | (4) / (7) | 0.5000 |
Valeur prédictive (+) du test = VPP = P(B/A) | (1) / (3) | 0.0478 |
Valeur prédictive (-) du test = VPN = P(B/A) | (5) / (6) | 0.9985 |
Probabilité de ne pas avoir la maladie B si le test A (+) | (2) / (3) | 0.9522 |
Probabilité d’avoir la maladie B si le test A est (-) | (4) / (6) | 0.00155 |
Probabilité absolue du test (+) = P(A) | (3) / (9) | 0.0314 |
Probabilité absolue du test (-) = P(A) | (6) / (9) | 0.9686 |
Et maintenant on recalcule avec la formule de Bayes : P(A/B)*P(B) = P(B/A)*P(A)
Indicateur |
|
Sensibilité = Probabilité d’avoir le test A (+) si on a la maladie B = 1 – Faux (-) | P(A/B) |
Spécificité = Probabilité d’avoir le test A (-) si pas de maladie B = 1 – Faux (+) | P(A/B) |
Faux (+) = Probabilité d’avoir le test A (+) si on n’a pas la maladie B | P(A/B) |
Faux (-) = Probabilité d’avoir le test A (-) si on a la maladie B | P(A/B) |
Valeur prédictive (+) = Probabilité d’avoir la maladie B si le test A est (+) | P(B/A) |
Valeur prédictive (-) = Probabilité de ne pas avoir la maladie B si le test A est (-) | P(B/A) |
Probabilité de ne pas avoir la maladie B si le test A est (+) | P(B/A) |
Probabilité d’avoir la maladie B si le test A est (-) | P(B/A) |
Sensibilité |
|
P(A/B) = Probabilité d’avoir le test A (+) si on a la maladie B |
|
P(B/A)*P(A) VP P(A/B) = ---------------- = ----------- P(B) VP + FN |
|
P(B/A) = Probabilité d’avoir la maladie B si le test A est (+) = VPP | 0.0478 |
P(A) = Probabilité absolue du test (+) = P(A/B)*P(B) + P(A/B)*P(B) = (1 – Faux (+)) Prévalence + (Faux (-)) (1-Prévalence) | 0.0314
|
P(B) = Prévalence de la maladie B | 0.0030 |
P(A/B) = | 0.5000 |
Spécificité |
|
P(A/B) = Probabilité d’avoir le test A (-) si on n’a pas la maladie B |
|
P(B/A)*P(A) VN P(A/B) = ---------------- = ----------- P(B) VN + FP |
|
P(B/A) = Probabilité de ne pas avoir la maladie B si le test A est (-) = VPN | 0.9985 |
P(A) = Probabilité absolue du test (-) = P(A/B)*P(B) + P(A/B)*P(B) = ((Faux (+) Prévalence + (1 – Faux (-) (1-Prévalence) | 0.9686 |
P(B) = 1 – P(B) | 0.9970 |
P(A/B) = | 0.9700 |
Faux (+) |
|
P(A/B) = Probabilité d’avoir le test A (+) si on n’a pas la maladie B |
|
P(B/A)*P(A) FP P(A/B) = ---------------- = ----------- P(B) VN + FP |
|
P(B/A) = Probabilité de ne pas avoir la maladie B si le test A est (+) | 0.9522 |
P(A) = Probabilité absolue du test (+) = P(A/B)*P(B) + P(A/B)*P(B) = (1 – Faux (+)) Prévalence + (Faux (-)) (1-Prévalence) | 0.0314
|
P(B) = 1 – P(B) | 0.9970 |
P(A/B) = | 0.0300 |
Faux (-) |
|
P(A/B) = Probabilité d’avoir le test A (-) si on a la maladie B |
|
P(B/A)*P(A) FN P(A/B) = ---------------- = ----------- P(B) VP+ FN |
|
P(B/A) = Probabilité d’avoir la maladie B si le test A est (-) | 0.00155 |
P(A) = Probabilité absolue du test (-) = P(A/B)*P(B) + P(A/B)*P(B) = (1-Sensibilité) Prévalence + Spécificité (1-Prévalence) | 0.9686 |
P(B) = Prévalence de la maladie B | 0.0030 |
P(A/B) = | 0.5000 |
VPP = Valeur prédictive (+) |
|
P(B/A) = Probabilité d’avoir la maladie B si le test A est (+) |
|
P(A/B)*P(B) VP P(B/A) = ---------------- = ----------- P(A) VP + FP |
|
P(A/B) = Probabilité d’avoir le test A (+) si le patient est atteint par la maladie B | 0.5000 |
P(B) = Prévalence de la maladie B | 0.0030 |
P(A) = Probabilité absolue du test (+) = P(A/B)*P(B) + P(A/B)*P(B) = Sensibilité Prévalence + (1 – Spécificité) (1-Prévalence) | 0.0314
|
P(B/A) = | 0.0478 |
VPN = Valeur prédictive (-) |
|
P(B/A) = Probabilité de ne pas avoir la maladie B si le test A est (-) |
|
P(A/B)* P(B) VN P(B/A) = ----------------- = ----------- P(A) VN + FN |
|
P(A/B) = Probabilité de ne pas avoir le test A (+) si le patient n’a pas la maladie | 0.9700 |
P(B) = Probabilité de l’absence de maladie B = 1 - Prévalence | 0.9970 |
P(A) = Probabilité absolue du test (-) = P(A/B)*P(B) + P(A/B)*P(B) = (1-Sensibilité) Prévalence + Spécificité (1-Prévalence) | 0.9686 |
P(B/A) = | 0.9985 |
Probabilité de ne pas avoir la maladie B si le test A (+) |
|
P(B/A) = Probabilité de ne pas avoir la maladie B si le test A est (+) |
|
P(A/B)*P(B) FP P(B/A) = ---------------- = ----------- P(A) VP + FP |
|
P(A/B) = Probabilité d’avoir le test A (+) si on n’a pas la maladie B = Faux (+) | 0.0300 |
P(B) = Probabilité de l’absence de maladie B = 1 - Prévalence | 0.9970 |
P(A) = Probabilité absolue du test (+) = P(A/B)*P(B) + P(A/B)*P(B) = Sensibilité Prévalence + (1 – Spécificité) (1-Prévalence) | 0.0314 |
P(B/A) = | 0.9522 |
Probabilité d’avoir la maladie B si le test A est (-) |
|
P(B/A) = Probabilité d’avoir la maladie B si le test A est (-) |
|
P(A/B)* P(B) FN P(B/A) = ----------------- = ----------- P(A) VN + FN |
|
P(A/B) = Probabilité d’avoir le test A (-) si le patient a la maladie B = Faux (-) | 0.5000 |
P(B) = Prévalence de la maladie B | 0.0030 |
P(A) = Probabilité absolue du test (-) = P(A/B)*P(B) + P(A/B)*P(B) = (1-Sensibilité) Prévalence + Spécificité (1-Prévalence) | 0.9686 |
P(B/A) = | 0.00155 |
Nous avons terminé la série Du Vague à l’âme qui expliquait la physiologie normale de l’adaptation à un facteur de stress, éventuellement à potentiel traumatique.
Mais nous ne sommes pas rentrés à proprement parlé jusqu’ici dans le "traumatisme-maladie", ce que nous allons maintenant explorer dans la prochaine série intitulée : Les troubles du spectre traumatique.
Avant d’aborder la physiopathologie de la maladie traumatique, je reviens avec le blog de ce jour sur le cerveau bayésien pour indiquer que la mathématique bayésienne est à la base du diagnostic médical. Ensuite en introduction à la prochaine série, je présenterai quelques concepts tels celui du système de santé, de prévention de la maladie et de promotion de la santé, ainsi que les instruments…