
La réaction émotionnelle peut se voir atténuée secondairement sur base d’informations complémentaires traitées par le cortex intéroceptif (Du Vague à l’âme, N°7). Parallèlement à ce traitement informationnel intéroceptif, une autre évaluation de la pertinence du danger est réalisée par le complexe entorhino-hippocampique qui rassemble et combine l’ensemble des données extéroceptives qui nous parviennent pour nous représenter le contexte environnemental : le « quoi ? », le « où ? » et le « quand ? ».
Le complexe entorhino-hippocampique comprend le cortex entorhinal[1] et l’hippocampe[2]. Le cortex entorhinal est composé de deux régions aux fonctions distinctes : le cortex entorhinal médian (CE’M) en charge de l’information spatiale dépendante de la vision (les voies du où?) et le cortex entorhinal latéral (CE’L) en charge de l’information de la nature et de la qualité de l’objet, en particulier sa qualité émotionnelle (les voies du quoi?), ainsi que de la temporalité de l’événement (les voies du quand?)[3]. Un fois transmises du CE’M au CE’L, les informations sont ensuite acheminées à travers plusieurs structures hippocampiques jusqu’au champ ammonien n°1 (CA1) dont la fonction est de mémoriser le lieu (c’est grâce au CA1 que l’on perçoit l’existence d’une cage autour d’un ours pour en déduire que sa présence n’est pas menaçante). Le complexe CE’M-CA1 fonctionne comme un GPS (global positionning system). Le CA1 fournit la carte (les cellules de lieux, O’Keefe, 1978) et le CE’M la fonction de géolocalisation (les cellules de grille, May et Edvard Moser, 2005)[4].
Si l’évaluation intéroceptive et extéroceptive permet d’infirmer la pertinence du danger, alors le cerveau va revoir son préjugé grâce à ce double "update" informationnel et affiner son inférence bayésienne de causalité des sensations intéroceptives et extéroceptives éprouvées. Dans ce cas, il en résultera qu’une partie de la stimulation du noyau latéral de l’amygdale (LA) sera détournée de son orientation vers le noyau central de l’amygdale (CE) pour s’orienter vers le noyau latéro-basal de l’amygdale (BLA) qui activera à son tour par voie glutaminergique l’aire tegmentale ventrale (ATV) sécrétrice de dopamine qui activera le noyau accumbens (NA) du striatum ventral et à partir de celui-ci la structure de sortie du striatum, le pallidum ventral (PV) qui va commander les gestes d’évitement pacifique ou même d’apaisement, voire de recherche de satisfaction, via la mobilisation de l’aire motrice supplémentaire (SMA).
Le cortex préfrontal ventromédian (CPFVM) – dépositaire du travail d’évaluation du CIA et du CCA – joue un rôle important dans le switch de la coordination LA-CE-PAG (cf. Du Vague à l’âme, épisode n°4) vers la coordination LA-BLA-NA (Figure n°1) en interrompant la réaction émotionnelle pour une action alternative. Le CPFVM est la structure qui nous permet de passer d’une émotion à une autre. Toutefois cette action correctrice peut s’avérer inefficace chez des personnes atteintes de stress post-traumatique chez qui un défaut épigénétique de l’hippocampe empêche l’occurrence du souvenir explicite, laissant seule au commande l’amygdale et le seul souvenir implicite émotionnel qu’elle génère. D’où le rôle complémentaire et indispensable du complexe entorhino-hippocampique. Contrairement aux souvenirs explicites dépendant du bon fonctionnement de l’hippocampe, les souvenirs implicites ne sont pas étiquetés comme appartenant au passé (car n’auront pas bénéficié des services du complexe entorhino-hippocampique et de sa réponse à la question du « Quand ? ».).
Figure n°1 : L’action émotionnelle.

Si, a contrario, la réaction émotionnelle a toute sa pertinence et si elle est suffisamment forte (beaucoup de noradrénaline et de cortisone), l’information va alors remonter du CCA vers le cortex préfrontal dorsolatéral (CPFDL) qui va activer le réseau de la mémoire de travail avec prise de conscience éventuelle de l’émotion, c’est le sentiment. L’émotion s’exprime (phénomène actif inconscient) et le sentiment se ressent (phénomène passif conscient). L’émotion est première et le sentiment – s’il y a passage de l’information au conscient – est seconde. Le passage au CPFDL n'est pas systématique, seulement si la réaction émotionnelle est suffisamment forte, génératrice de forte surprise (positive ou négative). Comme l’avait identifié William James à la fin du XIXème siècle (What is an emotion. Mind, 1884), nous ne nous immobilisons pas, ou nous ne fuyons pas, de façon réflexe (=émotion) parce que nous sommes effrayés (=sentiment) d’avoir vu un serpent ; non, nous sommes effrayés (=sentiment) parce que nous nous sommes immobilisés ou nous avons fui (=émotion) à la vue d’un serpent. Le sentiment apporte un complément d’attention qui permet d’ajuster au mieux l’action émotionnelle en mobilisant la mémoire de travail. La prise de conscience que traduit le sentiment jouerait un rôle spécifique, celui d’engager davantage de mobilisation psychique pour faire face à la surprise, en particulier celle liée au danger, mais pas exclusivement.
Si l’évaluation corticale ne réfute pas le risque de danger, alors l’essentiel de la stimulation du LA restera orientée vers le CE qui fera la connexion avec la substance grise périaqueducale (PAG) pour coordonner la réponse émotionnelle de façon adaptée à la gravité de la situation (Du Vague à l’âme, N°9).
Figure n°2 : Vue sagittale droite.

[1] Le cortex entorhinal (CE’=AB28) est une structure corticale appartenant au lobe temporal médian situé en bas et en avant de l’hippocampe. Son rôle est de rassembler toutes les sensations extéroceptives pour les transmettre à l’hippocampe qui en fera la synthèse.
[2] L’hippocampe (de hippos = cheval et de kampos = recourbé) est une structure limbique sous corticale dans la profondeur du lobe temporal médian. A partir des données extéroceptives qui lui parviennent par le cortex entorhinal et la synthèse qu’il en fait, l’hippocampe permet la formation de souvenirs explicites d’événements vécus divisibles en événements différenciés à partir du travail implicite de plusieurs systèmes de mémorisation (par exemple ce que quelqu’un dit et à quoi ressemble ce quelqu’un, sa face ; c’est l’hippocampe qui permet de reconnaître mon amie par son visage, mais c’est grâce à l’amygdale que je sais que je l’aime). L’hippocampe est le chaînon unissant l’ultime étape de la perception et la première de la représentation conceptuelle autorisant ainsi la mémoire déclarative.
[3] Thanh Pierre Doan (Cell Report, 15.10.2019) qui a identifié les fonctions du cortex entorhinal écrit : « Pour la madeleine de Proust, le CE’M rapporte la cuisine de la tante de Proust (le où ?) et le CE’L fournit le goût si particulier de la madeleine trempée dans le thé (le quoi ?) ainsi que le moment de l’enfance de Proust concerné (le quand ?) ».
[4] John O’keefe, May et Edvard Moser ont obtenu le Prix Nobel de médecine en 2014.
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