La réaction émotionnelle – Troisième partie
Nous continuons à approfondir notre compréhension de la réaction émotionnelle en présentant maintenant le rôle de l’axe hypothalamo-hypophysaire-surrénalien.
Figure n°1 : La réaction émotionnelle
Pour un troisième apport énergétique complémentaire (en plus du glucose et de l’oxygène), le CE va déclencher une réaction plus lente que celle induite par l’action des catécholamines, par stimulation du noyau paraventriculaire de l’hypothalamus (NPV) avec sécrétion de corticolibérine (CRF) qui va à son tour stimuler la sécrétion de l’hormone corticotrope (ACTH) par l’hypophyse et celle-ci la sécrétion de cortisol par la cortico-surrénale[1]. Le cortisol – qui passe aisément la barrière hémato-encéphalique – va mobiliser émotionnellement le corps en inhibant la capacité du GABA à inhiber l’effet du glutamate pour au total accroître globalement l’effet de ce dernier sur toutes les structures cérébrales concernées[2]. Pour mettre à disposition le surcroît d’énergie nécessaire, le cortisol va refaire des réserves hépatiques de glucose en convertissant le lactate en glucose par gluconéogenèse hépatique[3]. Le cortisol va ainsi intensifier l’efficacité et la durée de la réaction émotionnelle. Il le fait aussi par voie nerveuse. En effet, il passe la barrière hématoencéphalique pour se fixer à ses récepteurs au niveau de l’hippocampe, de l’amygdale et du CPF, des structures très riches en récepteurs aux glucocorticoïdes[4]. Au niveau de ces structures, le cortisol régule la plasticité synaptique et ainsi facilite l’update des priors pour permettre de meilleures prédictions pour le futur, donc une meilleure efficacité émotionnelle. Il y a transfert de signaux au NPV et au CE à partir de l’hippocampe stimulé par le cortisol. Les signaux transférés au NPV vont inhiber la sécrétion de CRF et inhiber ainsi en aval la sécrétion d’ACTH et de cortisol (feedback négatif). Les signaux transférés au CE vont, au contraire, stimuler davantage encore le NPV avec prolongation de la sécrétion de CRF déclenchant un cercle vicieux (feedback positif). En cas de stress intense, l’amygdale tente d’augmenter la sécrétion de cortisol et l’hippocampe de la baisser, surtout si le contexte plaide en faveur d’une absence de danger. Le complexe NPV-hippocampe régule ainsi le débit du système nerveux sympathique en l’accélérant ou en le freinant. Dans le meilleur des cas (les plus fréquents sur le plan épidémiologique), lorsque l’événement traumatique ne se transforme pas en un trouble traumatique, le feedback négatif l’emportera sur le feedback positif[5].
Le cerveau émotionnel est lui aussi bayésien … Le cortisol aide le cerveau à apprendre, il a un rôle permissif sur l’apprentissage, c’est-à-dire à gagner de la précision pour diminuer ses erreurs de prédiction, ce qui nous permet de différencier entre les sources d’information crédibles et celles plus incertaines. Le cortisol nous aide à faire ainsi les prédictions optimales dans les situations où celles-ci sont déterminantes. Lorsque dans un premier temps le cortisol est élevé, il y a désarticulation entre priors et mécanismes synaptiques de précision (= remise en jeu des priors), ensuite lorsque baisse progressivement (donc pas trop vite) le cortisol, il peut y avoir apprentissage proprement dit avec réadaptation des priors. Apprendre après un stress correspond à mettre à jour (updater) ses croyances (produire de meilleurs priors y inclus les stratégies du faire avec) en relation avec l’environnement interne ou externe (le contexte) qui a généré le stress, ce qui permettra ultérieurement de meilleures prédictions. Ensuite certaines personnes – mais pas toutes – s’habituent et vont donc produire moins d’énergie (car moins de réaction au stress) dans ces situations de changement environnemental. L’information est nécessaire pour identifier la stratégie pour faire face. Si on prédit mal et répond mal alors on accroît la charge allostatique (nécessaire pour revenir à l’équilibre homéostatique) avec risques d’HTA, athérosclérose, dépression ... et de TSPT. |
Le CE affecte aussi la substance grise périaqueducale (PAG), ici par voie gabaergique, pour la réponse comportementale. La première réaction émotionnelle sera une immobilisation de courte durée du corps dans une attitude nécessaire à l’orientation, à l’observation, à l’identification et la localisation du danger, renforçant ainsi davantage encore l’attention. A l’annonce sensorielle d’un possible danger, et par simple réflexe, les muscles striés des membres inférieurs et supérieurs vont se durcir afin, d’une part, de résister à la morsure éventuelle d’un prédateur et, d’autre part, de préparer le corps à une éventuelle action motrice de fuite ou de défense. Mais si l’immobilisation se prolonge, elle pourra alors se renforcer en figement (freezing ou immobilisation tonique). Cette immobilisation tonique permet parfois à l’animal agressé de sauver sa peau. En effet, elle peut parfois permettre à la victime potentielle d’échapper à l’attention du prédateur ou de dégoûter celui-ci, si ce dernier se convainc que la proie est déjà morte ou sinon malade par empoisonnement (via une émotion de dégoût chez le prédateur). La PAG joue un rôle médiateur très important pour la mobilisation sympathique ou parasympathique. Les multiples fonctions parasympathiques seront décrites dans un prochain épisode (cf. Du Vague à l’âme n°9).
[1] La CRF sécrétée par le NPV rejoint l’hypophyse via la microcirculation artérielle qui connecte l’hypothalamus et l’hypophyse. Au niveau de l’hypophyse, la CRF se lie aux récepteurs CRHR1. Cette fixation déclenche la synthèse de promélanocortine, le précurseur de l’ACTH qui est déversée dans la circulation sanguine pour atteindre le cortex surrénalien et y stimuler la sécrétion du cortisol dans la circulation.
[2] Les neurotransmetteurs GABA et glutamate ont été présentés dans l’épisode N°4 de la série Du Vague à l’âme.
[3] Ce qui nécessite davantage de temps que la glycolyse induite par l’action de l’adrénaline.
[4] Le cortisol exerce ses fonctions en se liant à deux types de récepteurs, les minéralocorticoïdes (MR) et les glucocorticoïdes (GR). Les MR se trouvent surtout au niveau des neurones du striatum et agissent principalement via des mécanismes non-génomiques (rapides). Les GR sont distribués dans presque tout le cerveau avec une concentration maximale dans l’hippocampe, l’amygdale et le CPF et agissent principalement via des mécanismes génomiques (lents). Les MR agissent en priorité et très rapidement dans les premiers instants d’une réaction de stress vu leur très grande affinité avec le cortisol. Leur rôle est d’apprécier les nouvelles situations de stress et d’en adapter la réponse en sélectionnant les mécanismes de coping les plus adéquats via des mécanismes non génomiques. Les GR vu leur beaucoup plus faible affinité pour le cortisol interviennent avec un certain retard pour gérer les situations de stress sur du plus long terme via des mécanismes génomiques. Ils ont la charge de mettre fin à la réaction émotionnelle au stress en rétablissant l’équilibre homéostatique par une action de feedback (-) sur l’axe HHS. Par la rétroaction du cortisol sur les GR de l’hippocampe, le processus mnésique sera modulé en stimulant la mémoire contextuelle et facilitant ainsi l’extinction de la peur. On dit que les mécanismes d’action des GR est de type génomique car lorsque le cortisol rejoint les GR distribués dans le cytosol des cellules neuronales et de la glie concernées, en particulier de l’hippocampe (mais aussi de l’amygdale et du CPF), le complexe GR-cortisol va se déplacer vers le noyau de la cellule pour impacter l’expression de l’ADN stimulant et/ou empêchant ainsi l’expression de certains gènes pour en résulter en aval une régulation de la plasticité synaptique en particulier une potentialisation long terme (LTP) et/ou une dépression long terme (DLT) afin de permettre apprentissage et désapprentissage. Tout cela est permis en raison d’une action coordonnée des récepteurs MR et les GR : les MR en première intention et les GR en seconde intention, ensuite une nouvelle fois les MR lorsque le taux de cortisol a baissé, pour au total promouvoir l’adaptation de l’organisme aux futurs stresseurs qui ne manqueront va de s’imposer, donc pour permettre une plus rapide récupération homéostatique.
[5] Nous reviendrons sur le rôle central du cortisol dans notre prochaine série sur Les troubles du spectre traumatique.
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